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disait l’artiste, au rapport de M. Clément, et à ces paroles, qu’il a sans doute répétées plusieurs fois, il ajoutait quelque chose de plus pour mieux accentuer sa pensée. Des deux races en présence, la plus vraiment et naturellement aristocratique est celle de ces vainqueurs barbares; la beauté de leurs traits, la noblesse de leurs attitudes les proclament hautement faits pour le commandement et laissent pressentir les futurs maîtres du monde, ceux qui remplaceront cette Rome qu’ils ne peuvent maintenant qu’humilier. Il y a dans cette opposition une note très personnelle à l’artiste, qui n’aima jamais de l’Italie que ses arts et son climat, et ne se gêna jamais pour s’exprimer sur le compte des Italiens et de l’action qu’ils ont exercée sur le monde en politique et en religion avec le plus parfait dédain. Dès que la peinture n’était plus en cause, il se rappelait qu’il était de race barbare, et s’il était assez disposé d’ordinaire à reconnaître à cette race une infériorité de goût, il l’était encore davantage à lui attribuer une supériorité d’honneur, de vraie lumière et de vertu.

La seconde composition historique de Gleyre s’appelle la Mort du major Davel. Le major Davel, personnage peu connu hors de la Suisse, fut un officier vaudois qui dans le premier tiers du XVIIIe siècle mourut sur l’échafaud pour avoir eu la généreuse pensée de rendre à la liberté le pays de Lausanne alors soumis à l’aristocratie bernoise. Noble entreprise, justement célébrée par les historiens du cru, mais qui, pour dire notre pensée franchement, nous paraîtrait plus noble encore si le héros n’avait pas tenu de Berne même son autorité militaire. Quoique ce héros, bien qu’assez obscur, ne soit pas un Childebrand, ce n’est pas par libre choix que Gleyre s’en empara. Ce tableau lui fut demandé par Lausanne pour satisfaire à la clause expresse du testament d’un artiste vaudois qui laissa sa fortune à sa ville natale et qui, entre autres legs, avait réservé une certaine somme pour commander à un peintre « d’origine vaudoise nommé Gleyre dont il avait entendu parler un tableau dont le sujet serait la mort de Davel. » Gleyre hésita beaucoup, paraît-il, et avec justes raisons, ces sortes de scènes étant ingrates de leur nature par la minutieuse exactitude matérielle qu’elles imposent à l’artiste, et glissant aisément dans le mélodrame lorsqu’elles ne sont pas rehaussées par le grand renom ou la condition exceptionnelle des acteurs. Ses souvenirs patriotiques, et, cette fois, ses opinions démocratiques aidant, Gleyre a triomphé de toutes ces difficultés et a su nous émouvoir avec ce sujet d’intérêt circonscrit et pour ainsi dire tout local. C’est une des productions les plus nobles et les plus touchantes de l’artiste. Le major, dont le visage respire la plus profonde piété, debout sur l’échafaud, lève vers le ciel des yeux tristes et doux où se lit un appel