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et étend les bras vers lui avec un si pathétique mouvement de tendresse, ne vous fait-elle pas penser à quelque vertueuse Monique moderne qui saluerait le retour de quelque Augustin repentant? Les longs siècles de la civilisation chrétienne sont trop profondément empreints sur ce visage sévère pour que cette mère soit une Juive contemporaine de Jésus. Regardez maintenant cette gaie, radieuse, presque féerique composition appelée Minerve et les Grâces, comme tout cela est antique par la mise en scène, par la pureté des formes, par la finesse des lignes, mais que tout cela est moderne par les jeux de physionomie et les expressions des sentimens ! Que cette Aglaé est bien Grecque en effet par la délicate netteté des traits, mais qu’elle est Parisienne par la subtilité de son sourire et l’élégance de son port de tête, et que les beaux yeux spirituellement étonnés de cette singulière Minerve sont habitués à se mirer dans d’autres glaces que le cristal mouvant de l’Hippocrène! L’admirable jeune fille nue du tableau du Bain a été dessinée avec une perfection digne des maîtres de la renaissance ; mais est-ce à Florence ou à Paris, au XVIe siècle ou au XIXe qu’appartiennent cette attitude d’une grâce si originale et cette distinction physique si exceptionnelle qui font de cette figure presque l’égale des plus célèbres créations de la peinture? Cette réalité contemporaine, loin de nuire au caractère d’idéalité des œuvres de Gleyre, le confirme au contraire, car elle est elle-même un idéal, étant la partie la plus fugitive, la plus difficilement saisissable, la plus immatérielle des phénomènes extérieurs qui témoignent de notre vie morale. Ces jeux de physionomie, ces attitudes, ces sourires, nous les reconnaissons sans peine, et cependant c’est en vain que nous chercherions à les retrouver, tant tout cela est de qualité rare et presque unique. Ce sont des éclairs qui n’ont lui peut-être qu’une seule fois et qu’un instant, mais qui ont été fixés aussitôt qu’aperçus ou retrouvés par la mémoire avec une sagacité singulière lorsque l’artiste en a eu besoin pour illuminer son sujet ou lui communiquer l’étincelle de vie.

Le sentiment de la beauté était chez Gleyre invincible. Il exécrait la laideur, et ne pouvait pardonner au réalisme contemporain la systématique exhibition de vulgarités par laquelle, — c’était son mot, — il salissait le goût public. Cependant c’était plutôt avec gaîté qu’avec colère qu’il jugeait d’ordinaire les prétentions de certains artistes, et nous entendons encore l’accent de bonhomie railleuse avec laquelle il racontait un jour devant nous comment le maître Courbet, étant allé voir un paysage composé par un jeune peintre, s’était affligé de trouver l’œuvre trop gracieuse. « Pourquoi donc, avait-il dit avec reproche au jeune artiste, faites-vous toujours les