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française, faillirent donner le signal d’une bataille dans les rues.


VI.

Les documens réunis par M. Popof permettent de résoudre une autre question. Napoléon affirme dans un de ses bulletins que Rostoptchine, avant de quitter Moscou, avait mis en liberté jusqu’à 3,000 criminels, qu’il avait armés et excités à la ruine de Moscou. Non moins affirmativement, Rostoptchine, dans sa Vérité sur l’incendie, déclare que les prétendus malfaiteurs employés à brûler Moscou étaient pour le moins à 50 milles de cette ville, qu’ils avaient quittée quatre jours auparavant. Comment concilier deux allégations aussi contradictoires ? Qui a raison de l’empereur français ou du gouverneur moscovite ? Le chiffre donné par Napoléon est évidemment exagéré ; mais les écrivains contemporains, l’abbé Surugues, témoin oculaire, Domergue, qui écrit d’après des récits de témoins oculaires, parlent tous du rôle joué par les détenus de Vostrog ou prison publique. Il est impossible de révoquer en doute leurs témoignages, et M. Popof en apporte d’autres qui les confirment. Voici d’abord un extrait du journal de Boulgakof, employé de Rostoptchine et qui lui est tout dévoué : le 14, à cinq heures du soir, il a vu « les détenus s’échappant de l’ostrog. » Voici un rapport du général Ilovaïski, rentré l’un des premiers à Moscou après la retraite des Français ; il affirme « qu’en deux jours on a arrêté plus de 200 incendiaires et pillards, pour la plupart criminels et échappés de l’ostrog : sept d’entre eux ont été saisis par une patrouille des kosaks de la garde, qu’ils avaient reçue à coups de fusil ; d’autres ont été pris en flagrant délit de meurtre et de sacrilège ; on a dû envoyer des patrouilles tout autour de la ville à la recherche des évadés et des pillards. » Ce rapport est adressé à Rostoptchine, qui résidait alors à Vladimir. S’il a lu ce rapport, comment a-t-il pu soutenir ensuite qu’il n’était pas resté de détenus à Moscou ? En récit du docteur Riazanof, qui était en 1812 un garçon de douze à treize ans et qui faisait partie d’une troupe d’incendiés, réfugiés dans une cave, n’est pas moins concluant. On y retrouve les détenus de l’ostrog avec leur uniforme de prison, leur tête dont la moitié seulement est rasée, leur tournure singulière d’esprit et leur argot pittoresque.

La plus importante des questions relatives à 1812 est toujours celle-ci : Qui est l’auteur de l’incendie de Moscou ? J’ai déjà montré combien il est difficile de dégager la vérité des affirmations contradictoires de Rostoptchine. Dans une lettre écrite en 1813 à son ami Sémen Voronzof, n’a-t-il pas été jusqu’à dire : « Napoléon livra la