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II.

Rostoptchine s’était installé dans sa villa de Sokolniki lorsqu’un exprès lui apporta la nouvelle que l’empereur Alexandre se disposait à visiter la capitale et lui remit une proclamation dans laquelle le tsar annonçait à son peuple le danger de la patrie. « Je me mis aussitôt à l’œuvre, raconte le gouverneur, je restai sur pied toute la nuit; je convoquai, je vis beaucoup de monde ; je fis imprimer avec la proclamation impériale un bulletin de ma façon, et le lendemain Moscou apprit en s’éveillant la prochaine arrivée du souverain. La noblesse fut flattée de la confiance que mettait en elle l’empereur et s’inspira d’un noble zèle; les marchands étaient prêts à donner de l’argent ; mais le peuple, à ce qu’il me parut, resta indifférent, car il ne croyait pas possible que l’ennemi pût entrer à Moscou. Cette sotte sécurité était encore entretenue par cette circonstance que depuis près d’un siècle aucun ennemi n’avait posé le pied en Russie ; Napoléon ne pouvait manquer de périr comme Charles XII à Poltava. Les grandes barbes ne cessaient de répéter : Napoléon ne peut nous vaincre; pour nous vaincre, il faudrait nous exterminer tous. »

Les mémoires de Glinka permettent de se faire une idée plus nette de l’impression produite par le manifeste impérial. Ordinairement ces appels des souverains à leurs peuples ne se produisent que lorsque la situation est déjà fort compromise. Le premier mouvement fut donc l’effroi : « Nous sommes perdus ! » tel fut le mot d’une Moscovite, la propriétaire de la maison où logeait Glinka. Elle lui tendait en pleurant le manifeste imprimé. « Non, reprit Glinka, remerciez Dieu au contraire ; plus tôt on prévoit le danger et mieux on est en mesure de le prévenir. Soyez tranquille et priez ! » Il courut aussitôt à Sokolniki, ne put pénétrer dans le cabinet du comte, mais lui laissa ce billet : « Je m’enrôle dans l’opoltchénié moscovite et je dépose sur l’autel de la patrie 300 roubles argent. » Ainsi Glinka donnait l’exemple à tous, son nom était le premier inscrit sur la liste des enrôlemens. Il revint en ville : les rues commençaient à regorger de monde; les marchands fermaient leurs boutiques, tous se rendaient à la barrière de Dragomilof pour saluer l’empereur : « Allons dans les temples du Seigneur, disaient les boutiquiers, prions pour le tsar ; ensuite, à la barrière ! » On n’entendait que ces mots qui se croisaient : «Où vas-tu? — A la barrière, au-devant de l’empereur ! » Ce tableau du réveil de Moscou, pris sur le vif par Glinka, contraste avec ce que rapporte Rostoptchine de l’indifférence des masses. Tous deux étaient ou se croyaient des hommes populaires ; c’est même le motif de la jalousie