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17,000 périrent dans la première année, dont un tiers avant d’atteindre les rivages du Nouveau-Monde. Des hôpitaux avaient été installés à la hâte dans les ports de débarquement pour recevoir les malheureux. Des familles entières disparaissaient, ou il n’en restait que des orphelins incapables de gagner leur vie. Remarquons que beaucoup d’Irlandais ne parlaient alors que la langue gaélique, en sorte qu’il leur était impossible de se faire comprendre. Ils s’entassaient dans les grandes villes, à New-York surtout, s’adonnaient aux métiers les plus répugnans. Cependant, comme ils étaient laborieux au fond, un grand nombre prospérèrent. La race irlandaise tient maintenant une place considérable dans l’Union américaine. On ne peut trouver surprenant qu’il lui reste au cœur une haine persistante contre la race anglaise qui lui a été si dure aux jours de malheur. Tant par la famine que par l’émigration, l’Irlande a perdu 3 millions de ses enfans dans une période de dix années.

Néanmoins la situation des propriétaires ne s’en améliorait guère, car la plupart, accablés de dettes, ne possédaient plus qu’un titre sans revenu. La législation compliquée de l’ancien temps ne leur permettait pas de vendre des domaines hypothéqués sous toutes les formes imaginables, parce que les droits des créanciers n’étaient pas bien établis. Tel gentilhomme campagnard, obligé par la situation de famille dont il héritait de vivre dans un château, se trouvait dans une gêne extrême et ne pouvait cependant vendre une propriété devenue onéreuse. Il avait été souvent question d’y remédier, et en effet le gouvernement anglais présenta un projet de loi relatif aux domaines hypothéqués (encumbered estates act) à la chambre des lords aux premiers jours du mois de février 1848. Le moment n’était pas favorable ; personne n’ignore combien il est dangereux de liquider une fortune compromise dans un temps d’agitation politique ou sociale. Les lords votèrent la loi proposée presque sans discussion. À la chambre des communes, le député O’Brien voulut, par un amendement, en étendre les effets à l’Angleterre. Il avait raison, car les titres de la propriété foncière n’y étaient guère moins incertains qu’en Irlande. La proposition fut repoussée, d’où les Irlandais conclurent que le parlement britannique avait une arrière-pensée dans cette circonstance. Bien des propriétaires, surtout ceux qui vivaient sur leurs terres et s’y étaient obérés, étaient Celtes de religion, de naissance, d’opinion. On espérait sans doute que leurs domaines mis en vente seraient achetés par des Anglais, que l’île rebelle recevrait ainsi toute une nouvelle population sympathique à l’empire britannique en place de celle qui lui était hostile. Débarrassé du menu peuple par l’émigration et des hautes classes par la