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dans une heure de découragement, y est devenu premier ministre de la province de Victoria ; c’est peut-être à l’heure présente l’homme d’état le plus accompli du continent austral. Darcy Mac-Gee a été ministre de la couronne au Canada ; Meagher est mort gouverneur du territoire de Montana aux États-Unis. D’autres sont aujourd’hui membres de la chambre des communes. Les femmes d’esprit et de cœur ne manquèrent point dans cette brillante pléiade qui rappelle par plus d’un côté la gironde de notre révolution,

À tout parti politique, il faut un chef. William Smith O’Brien devint celui de la jeune Irlande. Il était de vieille race, car il descendait en ligne directe du roi Brian, que les Danois vainquirent à Clontarf au XIe siècle. Sous les règnes d’Elisabeth et de Jacques Ier, quelques seigneurs, qui ne demandaient pas mieux que de se réconciher avec les maîtres du pays, acceptèrent d’envoyer leurs enfans en Angleterre pour y être élevés dans la foi protestante. Les O’Brien cessèrent ainsi d’être catholiques. Au XVIIe siècle, l’un d’eux reçut le titre de comte ; par reconnaissance sans doute, il combattit dans les rangs de Cromwell et fut la terreur des royalistes du Munster. Smith O’Brien était un cadet de cette noble famille. Hautain, réservé par caractère, avec des tendances libérales, il fut élu député presque au sortir de Cambridge, et siégea dans la chambre des communes parmi les tories. Aussi s’étonna-t-on beaucoup d’apprendre en 1843, — il avait alors quarante ans, — qu’il passait à l’opposition. Quatorze années de vie parlementaire lui avaient prouvé, disait-il, que les intérêts de son île natale ne pouvaient être défendus d’autre façon. Si cette détermination subite brisait sa carrière politique, le séparait de ses amis, de sa famille, du moins elle lui fit une grande réputation parmi les nationaux. De ses premières convictions, il avait conservé l’horreur des doctrines révolutionnaires ; aussi n’éprouvait-il aucune sympathie pour les partisans d’O’Connell, qui du reste ne pouvaient faire que froid accueil à un protestant. Par compensation, les hommes de la jeune Irlande le reçurent avec confiance. Ils se proposaient en effet d’unir protestans et catholiques sur un même programme de revendications nationales ; ils blâmaient O’Connell d’avoir trop mêlé les questions religieuses aux questions politiques. On les traitait de libres penseurs ; ils répondaient qu’ils ne voulaient pas être bigots. La querelle s’envenima par degrés ; il y eut bientôt scission complète entre les deux partis. Smith O’Brien devint le chef des jeunes, tandis que les anciens restaient fidèles à O’Connell, que la mort enleva vers cette époque.

Telle était la situation lorsque éclatèrent les événemens de février 1848. La révolution triomphait partout, de Naples à Berlin.