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des secours. Les maisons d’asile entretenues par la taxe des pauvres avaient épuisé leurs ressources, quoique cet impôt eût été porté à un taux excessif. Le temps manquait pour que le comité de secours, institué sous la présidence de sir John Burgoyne, pût agir avec efficacité. Distribuer le pain quotidien à des millions d’individus n’était pas une petite affaire. D’abord on fit des avances d’argent aux bureaux de bienfaisance qui fonctionnaient déjà. Ensuite on installa, sous la surveillance de comités locaux, des distributions de soupe aux plus nécessiteux ; que d’abus inévitables dans cette vaste entreprise ! On eut bien l’idée de créer des ateliers publics sur les routes. Hélas ! les pauvres gens, épuisés par les privations, étaient devenus incapables de travailler. La maladie, s’ajoutant à la famine, abattait les plus vigoureux.

On pense bien que le clergé catholique se prodigua dans cette affreuse épreuve. Du reste les pasteurs protestans ne se montrèrent pas moins dévoués, et les quakers, délégués par la Société des Amis d’Angleterre, parcoururent les districts les plus éprouvés, portant partout des secours et des paroles de consolation. Les Irlandais en ont conservé un souvenir reconnaissant. Quant aux propriétaires terriens, sauf d’honorables exceptions, leur conduite fut en général blâmable. La plupart vivaient outre mer d’habitude, ils se gardèrent de revenir ; d’autres s’enfuirent par crainte des épidémies régnantes. Il n’y avait pas entre eux et leurs tenanciers cette intime solidarité que la vie commune des campagnes crée en d’autres contrées. Ils se voyaient doublement ruinés, d’abord par la perte de leurs redevances, ensuite par le surcroît d’impôts que la circonstance exigeait. Ils étaient, eux aussi, les victimes de la famine.

L’Irlande s’est ressentie longtemps des souffrances éprouvées en 1846 et 1847; non-seulement parce qu’une grande partie de sa population y a succombé, mais aussi parce que ces années d’épreuve ont assombri le caractère national. Les fêtes, les danses, les jeux furent oubliés ; l’hospitalité traditionnelle des hommes du peuple fit place à une défiance exagérée contre les étrangers. La haine contre l’Angleterre s’accentua, car on lui en voulut d’avoir tardé si longtemps à comprendre la gravité de la situation. Dès les premières nouvelles, les émigrés d’Amérique s’étaient cotisés pour envoyer des secours à leurs anciens compatriotes ; on leur sut plus de gré pour les quelques milliers de livres qu’ils fournirent qu’aux Anglais pour les millions qu’ils avaient tardivement accordés.

Toutefois ce désastre n’entrava guère une sorte de renaissance politique dont les premiers symptômes avaient apparu depuis quelques années déjà. L’auréole dont le souvenir d’O’Connell est entouré, l’espèce de légende qui nous cache à distance la vraie