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liqueurs fortes; une médaille lui était alors remise, en guise de diplôme. Plus habile qu’O’Connell, il eut l’adresse de ne pas faire de distinction entre le catholique et le protestant ; peu lui importait la religion des gens qui venaient à lui pourvu qu’ils s’engageassent à ne plus faire usage que de boissons inoffensives. Sa réputation s’étendit bientôt au-delà de la ville où il avait débuté ; il parcourut l’Irlande entière, bien accueilli partout, ne prêchant jamais que contre l’ivrognerie, enregistrant des adhésions par centaines de mille. En Angleterre, il n’eut pas moins de succès; un évêque protestant lui offrit l’hospitalité dans son palais ; lord Brougham et le duc de Wellington lui souhaitèrent la bienvenue. A Londres seulement, la foule, ameutée par des cabaretiers, dit-on, dont la nouvelle doctrine compromettait le commerce, voulut lui faire un mauvais parti : le nombre de prosélytes n’en fut pas moins grand.

Pour nous, qui vivons sous un climat où la vigne prospère et qui considérons le vin comme un aliment non moins sain que fortifiant, cette croisade a quelque chose d’étrange. Dans les îles britanniques, où l’intempérance était dès lors une plaie sociale, le père Mathew fut un bienfaiteur de l’humanité. On ne tarda pas à reconnaître le bon effet de ses prédications. Les tribunaux constataient une amélioration dans la statistique criminelle; des habitudes d’ordre, de propreté se répandaient dans les basses classes, les débitans de liqueurs fortes ne faisaient plus fortune ; par compensation la vente des vêtemens, des denrées comestibles augmentait. Ce fut vers 1845 que le teetotalism fut le plus en honneur. Le père Mathew était alors à bout de forces; malade, ruiné par les frais de sa propagande, il aurait pu du moins s’en remettre à d’autres du soin de continuer l’entreprise qu’il avait si bien commencée ; mais la plus terrible des famines survint sur ces entrefaites. Après la crise, bien des sermens furent oubliés. Les cabarets, qui s’étaient fermés, se rouvrirent. L’apôtre avait disparu; puis le mouvement avait été trop brusque pour qu’il n’y eût pas de réaction. Il serait injuste cependant de dire que l’œuvre du digne capucin n’eût aucune conséquence d’avenir. S’il resta bien peu de partisans d’une abstention complète, du moins l’exemple avait prouvé quelle grande vertu est la tempérance, et le souvenir du père Mathew contribua plus tard à faire voter par le parlement une réforme appropriée aux mœurs modernes, c’est-à-dire une bonne loi sur les cabarets.

En dépit de la misère publique, des agitations politiques et du régime détestable auquel était soumise la propriété foncière, la population irlandaise s’accroissait avec une rapidité sans exemple. On estime qu’elle était de 9 millions d’âmes en 1845, 9 millions d’individus vivant au jour le jour, de l’existence la plus précaire, sans