Ces recours méritaient une certaine faveur; ils furent accueillis assez largement. Quelquefois le conseil était étonné de la nouveauté des questions qui lui étaient soumises. Néanmoins il marchait toujours en avant. En 1864, invité par le gouvernement à rechercher si quelques réformes pouvaient être introduites dans la législation, le conseil proposa et fit adopter, malgré certaines résistances, un décret réglementaire qui dispensait les parties du ministère des avocats et des frais qu’il entraîne pour les recours formés en vertu de la loi des 7-14 octobre 1790.
Si l’on recherche dans les statistiques du conseil d’état de cette époque la nature des décisions qui ont été l’objet de recours pour excès de pouvoirs, on y voit figurer un grand nombre d’arrêtés de préfets (de 1861 à 1865 il y en a 228), des arrêtés de maires, des délibérations de conseils généraux et de conseils municipaux dans les cas où ces conseils exerçaient un pouvoir propre, des décisions prises par les conseils de révision pour le recrutement de l’armée de terre, par des jurys de révision pour la garde nationale, par des conseils académiques et aussi des décisions du conseil supérieur de l’instruction publique. Mais, pour bien faire apprécier toute l’étendue de l’autorité du conseil d’état, il ne suffit pas d’indiquer quels sont les actes soumis à son contrôle, il faut mettre en relief le sens qu’il a donné au mot excès de pouvoirs.
En matière judiciaire, le pourvoi en cassation peut être motivé par l’excès de pouvoirs, l’incompétence, la violation des formes, la violation de la loi. Le conseil d’état n’avait qu’un seul mot à sa disposition, l’excès de pouvoirs; mais il en a fait sortir pour lui un droit de contrôle d’une étendue presque égale.
Les dispositions des lois qui ont ouvert des recours pour excès de pouvoirs devant la cour de cassation ont un sens éminemment restrictif. D’après le savant Henrion de Pansey, elles s’appliquent « au cas où le juge, franchissant les limites de l’autorité judiciaire, se porte dans le domaine d’un autre pouvoir. » La cour de cassation n’a pas consacré complètement cette définition; mais il est bien certain qu’elle n’attribue le caractère d’excès de pouvoirs qu’à des actes exceptionnellement graves d’incompétence.
Si le conseil d’état avait suivi cette doctrine, les parties n’auraient pas eu de nombreuses occasions de s’adresser à lui pour obtenir justice. Mais il a élargi la définition autant que la cour de cassation l’avait restreinte, et il l’a fait avec juste raison en s’inspirant des conditions propres dans lesquelles s’exerce l’action administrative.
En effet, les ministres, les préfets, les maires, chargés de la satisfaction des intérêts publics, investis d’une autorité très considérable,