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de Paris lui donnait sur tous les sujets les plus vives inquiétudes. Son ambassadeur lui signalait les efforts continus tentés par les adversaires de la Prusse pour déterminer l’Autriche à s’entendre avec l’Italie, et il modifiait d’heure en heure ses impressions touchant les dispositions personnelles de l’empereur, de telle façon qu’il ne savait plus que penser de la valeur et de l’exactitude des informations qu’il recevait.


V. LE MANIFESTE DU 13 JUIN.

Déjà le général Manteuffel avait reçu ses dernières instructions. Il devait au premier signal entrer dans le Holstein, procéder à la dispersion des états et à l’arrestation du commissaire autrichien. C’est au moment où partaient ces ordres que M. de Bismarck, dans la presse et dans ses circulaires, protestait contre toute pensée de faire valoir par la force ses prétentions sur les duchés, et, prenant l’Europe à témoin, lui demandait de quel côté étaient l’esprit de conciliation et l’amour de la paix. En même temps, suivant un procédé renouvelé du grand Frédéric, et dont plus tard nous devions être à notre tour les victimes, le moniteur prussien accablait l’Autriche, en révélant les causes secrètes de la convention de Gastein.

Il ne restait plus, pour provoquer l’ouverture des hostilités qu’à transmettre au général de Manteuffel l’ordre d’entrer dans le Holstein, lorsque le prince de Saxe-Cobourg, qui voulait à tout prix empêcher la guerre, arriva à Berlin avec la preuve qu’un traité venait d’être signé entre l’empereur Napoléon et l’empereur François-Joseph assurant la Vénétie à la France et la Silésie à l’Autriche. Il disait qu’une lettre du comte de Mensdorff, dont il avait eu connaissance, ne pouvait laisser aucun doute sur cette entente si menaçante pour la Prusse. On peut admettre qu’ému de cette révélation qui venait confirmer d’une manière aussi précise les renseignemens inquiétans qu’il recevait de tous côtés, M. de Bismarck eut aussi ses angoisses patriotiques. Non content de spéculer sur les désastres de la Prusse, le cabinet des Tuileries les préparait en quelque sorte en lui enlevant l’alliée qui était sa garantie la plus précieuse vis-à-vis de la France et dont la défection permettrait à l’Autriche de jeter toutes ses forces en Bohême.

On négociait en effet entre Vienne et Paris. Le duc de Gramont, après avoir conféré avec l’empereur et M. Drouyn de Lhuys, était reparti précipitamment pour son poste, chargé, disait-on, de propositions formelles. Mais de quelle nature étaient ces propositions? C’est ce que le comte de Goltz et le chevalier Nigra cherchaient à savoir par tous les moyens, mettant en mouvement toutes les