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Ces graves résolutions avaient été prises le 1er juin, sous l’influence du parti militaire, dans un grand conseil présidé par l’empereur François-Joseph. On eût dit que les adversaires de M. de Bismarck s’étaient donné le mot pour écarter eux-mêmes les obstacles qui pouvaient arrêter son audace et sa fortune. La réponse déclinatoire du cabinet de Vienne non-seulement consolidait sa position près du roi, mais elle lui permettait de rejeter sur l’Autriche la responsabilité de la guerre. On touchait à la fin du prologue; encore quelques jours, et l’Autriche mal inspirée, avec des états-majors irrésolus et imprévoyans, devait se jeter tête baissée dans les pièges qui lui étaient tendus, sans attendre la mobilisation de ses alliés du sud et sans avoir voulu céder à nos instances en désintéressant l’Italie. M. de Bismarck était parvenu, comme le torero, à exaspérer froidement et implacablement son ennemi et à le forcer à se jeter sur son épée.

Tout le monde à Paris avait cru à la conférence; le gouvernement la mettait si peu en doute que le 4 juin, à Montereau, dans une fête agricole, M. Drouyn de Lhuys, inspiré par le désir sincère de sauver la paix, annonçait d’une manière affirmative l’adhésion de l’Autriche et buvait à l’heureuse issue du congrès. L’empereur partageait la confiance de son ministre.

Surpris et déconcerté par le refus du gouvernement autrichien, le cabinet des Tuileries ne songea plus qu’à se précautionner contre les éventualités de la guerre; mais, convaincu de la supériorité des armées autrichiennes, au lieu de se couvrir des deux côtés, il ne se préoccupa que de Venise et du sort de l’Italie,

Tout nous conviait cependant à exiger des garanties en retour de notre neutralité ; la Prusse n’aurait pu s’y refuser, car si elle n’avait pas été assurée des dispositions de la France, elle aurait dû garder ses frontières occidentales. Notre neutralité équivalait pour elle à la disponibilité d’une armée.

Cette imprévoyance involontaire ou préméditée a été sans contredit de toutes nos fautes la plus irrémédiable. Ce n’est pas qu’on fût exempt d’inquiétude, on avait bien le sentiment du péril ; mais au lieu de l’envisager virilement et d’admettre toutes les hypothèses, la défaite de l’Autriche aussi bien que celle de la Prusse, on ne sut prendre aucun parti. Après des oscillations dont il serait difficile de suivre les mouvemens, on crut avoir fait tout ce que comportaient les circonstances, en s’assurant en tout état de cause la cession de la Vénétie. Les divergences d’opinion s’accentuaient d’ailleurs de plus en plus dans les conseils de l’empereur; deux politiques se trouvaient en présence : celle de M. Drouyn de Lhuys, qui penchait vers l’Autriche, et celle du prince Napoléon, qui inclinait vers la Prusse. Quant à l’empereur, tiraillé en tous sens et paralysé