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sur les instances pressantes des princes allemands, ses parens, et de la reine Olga, sa sœur, l’empereur Alexandre avait écrite dans le courant du mois de mai au roi Guillaume pour lui recommander de prendre conseil de ses sentimens de modération, envisageait avec une indifférence symptomatique les prétentions de la Prusse et l’éventualité d’un conflit. Si, comme la France, elle se renfermait dans une neutralité attentive, ce n’était pas assurément pour veiller au maintien du traité de Paris : il était à ses yeux pour le moins aussi dépourvu d’existence que l’étaient à notre dire les traités de 1815, et elle ne pouvait voir qu’avec satisfaction les événemens suivre leur cours en Allemagne, et soulever des complications générales. L’Angleterre n’avait pour l’Italie que des sympathies platoniques, et, tant qu’on ne toucherait pas au royaume belge, elle n’avait pas de motifs suffisans pour engager sa politique, et se lier, contrairement à l’esprit de sa constitution, à des combinaisons futures.

Quant à l’Autriche, le congrès ne pouvait avoir pour elle qu’une signification, le sacrifice de sa province italienne. C’était une idée incompatible avec sa dignité souveraine, bien qu’elle eût une portée pratique indiscutable, car elle devait lui permettre de retourner toutes ses forces contre la Prusse. Mais exiger d’elle une de ses provinces en pleine paix, uniquement parce que l’Italie en avait besoin pour l’accomplissement de son unité, c’était lui demander un acte de suicide. L’Italie était évidemment la puissance qui pouvait accepter le congrès avec le plus de philosophie, la cession de la Vénétie étant marquée à l’avance comme une des solutions essentielles.

Il n’en était pas de même pour le cabinet de Berlin ; la réforme fédérale et les duchés de l’Elbe figuraient, il est vrai, au programme, mais il ne pouvait se faire d’illusions; il savait que l’Autriche n’abdiquerait pas en Allemagne, et que s’il devait obtenir l’incorporation du Slesvig et du Holstein, ce ne serait pas sans sacrifices. Adhérer au congrès, c’était pour M. de Bismarck démentir toutes les espérances qu’il avait autorisées. Il soupçonnait nos inintentions; il nous accusait secrètement de préparer sa défaite, de vouloir l’acculer dans une impasse et le forcer, en sortant des conférences éconduit et mortifié, à implorer notre alliance et à la préparer au gré de nos convoitises. Il n’en accepta pas moins notre invitation, tout en nous représentant avec humeur que la Prusse était de toutes les puissances celle à laquelle nous mesurions notre confiance avec le plus de parcimonie.

Rien de plus instructif et de plus attachant que la lecture des dépêches qui s’échangeaient à ce moment entre Paris, Florence et Berlin. Elles forment un véritable drame plein de ruses et d’équivoques, de craintes et d’espérances; l’heure des déceptions n’a pas