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d’agir au moment que nous n’aurions ni prévu, ni choisi, sur un terrain qu’il ne dépendrait plus de nous de circonscrire?

Ces craintes se manifestaient ouvertement et se traduisaient en protestations énergiques. Le corps législatif s’en émut à son tour. Il n’avait certes pas le désir de créer des embarras au gouvernement de l’empereur ; mais en face des souffrances du commerce et de l’industrie, et de l’atteinte portée à la prospérité générale par la perspective de la guerre, il crut devoir faire un pas de plus dans la voie des libertés nécessaires et empiéter sur le terrain de la politique extérieure. « Il ne faut pas se dissimuler, écrivait M. Nigra le 23 avril au général La Marmora, que la Prusse est en ce moment très impopulaire en France. Le comte Walewski m’a dit hier qu’il craignait des discussions violentes au corps législatif; les hommes d’affaires, les banquiers, les commerçans, les spéculateurs de tout genre sont très hostiles à la guerre... Il en résulte que le gouvernement français se renferme de plus en plus dans l’attitude de neutralité et de liberté d’action qu’il a prise. » Dans une dépêche du 1er mai, il revenait sur les préoccupations que l’opinion publique causait à l’empereur. « Le gouvernement français, disait-il, est préoccupé des interpellations qui seront faites jeudi au corps législatif. Nos armemens rendent la situation plus difficile. On exigera de lui une déclaration explicite au sujet de l’attitude qu’il prendra relativement à l’Italie... Telle est la raison pour laquelle il a désapprouvé nos armemens immédiats. « 

M. Rouher voulut prendre les devans. Il crut écarter les interpellations ou du moins en atténuer les effets en prononçant une courte allocution dont chaque mot était pesé, et dans laquelle il affirmait que la politique de l’empereur avait été constamment pacifique, que partout la France n’avait jamais donné que des conseils de sagesse et de modération. Il ajoutait que la France resterait neutre, mais qu’elle se réservait toute sa liberté d’action. Parlant de l’Italie, il disait qu’on laisserait à sa charge les risques et les périls de toute agression dirigée contre l’Autriche.

Le programme du gouvernement de l’empereur se résumait en trois mots : neutralité loyale, politique pacifique, entière liberté d’action, et les intentions dont témoignait ce programme étaient sincères; il suffit de lire les dépêches italiennes pour s’en convaincre. M. Rouher était pleinement autorisé par la vérité des choses à se prévaloir de la modération de notre politique, et à affirmer notre ferme volonté de conserver notre liberté d’action. Mais ses déclarations avaient le tort de ne répondre qu’incomplètement aux exigences du sentiment public, et de ne pas indiquer dans quelle mesure nous participerions aux événemens. Une neutralité formulée en termes aussi vagues ne pouvait être, comme