Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si le roi m’abandonne, j’aurai préparé le terrain en creusant un abîme entre l’Autriche et la Prusse, et le parti libéral, montant au pouvoir, achèvera la tâche que je m’étais imposée. »

Peu de jours après que le cabinet de Berlin eut placé la controverse sur le terrain fédéral arrivèrent de la part de l’Autriche des propositions de désarmement. Le président du conseil les reçut avec une certaine hauteur, mais il ne jugea pas opportun d’en décliner la discussion. Les renseignemens qui lui arrivaient de Paris et de Florence n’étaient pas précisément de nature à l’encourager dans la politique à outrance. Il aurait voulu nous lier par des arrangemens pour prémunir le roi contre une défaillance et pour lui inspirer au sujet de notre attitude éventuelle une entière sécurité. Mais le gouvernement de l’empereur, tout en l’écoutant avec une attention bienveillante, restait insensible à ses incitations, et il savait que l’idée d’amener le cabinet autrichien à une cession à l’amiable de la Vénétie était loin d’être abandonnée.

Il prit donc acte des déclarations du cabinet de Vienne en assurant que, de son côté, il n’avait jamais eu la pensée d’entrer le premier dans la voie des mesures agressives. Ce n’était pas la paix assurément, mais du moins c’était l’espoir de voir la discussion se substituer aux menaces. Tandis que l’Allemagne et l’Italie se couvraient de soldats, on vit alors les gouvernemens démentir à l’envi leurs armemens et protester contre toute pensée d’agression. L’Italie, qui avait déjà plus de 100,000 hommes massés sur ses frontières, déclarait qu’elle ne devancerait pas l’explosion de la guerre en Allemagne; l’Autriche prétendait qu’elle ne commettrait pas la folie d’attaquer les Italiens: la Prusse soutenait qu’elle ne songeait qu’à sa défense, et les états moyens, qu’ils ne réunissaient leurs contingens que pour faire respecter la loi fédérale.

En réalité, on n’était prêt d’aucun côté pour une entrée en campagne immédiate, il fallait quelques semaines encore pour ouvrir les hostilités.

L’inquiétude se répandait en Europe ; on sentait qu’il se préparait de grands événemens. Peu attentive jusqu’alors aux querelles de l’Autriche et de la Prusse, qui semblaient être le fond naturel et constant de l’histoire intérieure de l’Allemagne, la France commençait à s’en préoccuper sérieusement et à redouter un choc militaire dont elle pouvait craindre le contre-coup. Des notes acerbes étaient échangées, des conseils de cabinet, où étaient appelés avec ostentation les personnages les plus considérables, se succédaient à Berlin, à Vienne et à Florence. On parlait de conférences militaires, on disait que l’empereur François-Joseph élaborait des plans de campagne avec l’archiduc Albert et le général Benedeck; on signalait les reconnaissances faites sur les frontières de Bohême par le général