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entière sur l’Autriche. Aussitôt les régimens qu’elle avait concentrés sur ses frontières se transformèrent en divisions, et les divisions en corps d’armée. Chaque jour, il devenait plus évident, disait-on, que, si elle armait, c’était moins en vue de la défense que de l’attaque; on prétendait qu’elle appelait sous les drapeaux les hommes de la réserve, qu’elle avait fait des achats éventuels de chevaux et de grains, et qu’avec 60 bataillons échelonnés sur la frontière, pouvant avec une cavalerie nombreuse se réunir en vingt-quatre heures à l’armée saxonne, elle menaçait déjà Berlin. On en concluait naturellement que la Prusse, qui n’avait encore remué ni un homme ni un canon, allait se trouver malgré elle dans la nécessité de pourvoir à sa défense, et qu’il lui incombait de s’y préparer sous le triple rapport des mesures financières, des précautions militaires et des combinaisons politiques.

En même temps que M. de Bismarck dénonçait aux cours allemandes les armemens de l’Autriche et les mettait en demeure de se prononcer, il élargissait le débat et donnait à ses projets leur véritable caractère en posant la question fédérale. Il ne s’agissait plus des duchés dont la conquête était escomptée, mais bien du programme que M. de Bismarck traçait à ses amis dès 1856 dans ses correspondances de Saint-Pétersbourg.

L’affaire des duchés n’était pas de nature à passionner les masses. Il fallait, pour justifier les sacrifices d’une grande guerre, une question d’un ordre plus élevé touchant aux intérêts généraux et suprêmes de l’Allemagne. D’après M. de Bismarck, le désaccord entre les deux grandes puissances tenait moins à leurs prétentions respectives sur les duchés qu’à leur situation au sein de la confédération germanique et aux avantages abusifs qui en ressortaient pour l’Autriche. Il réclamait donc la révision du pacte fédéral en prenant pour base la constitution de 1849, c’est-à-dire un pouvoir central chargé de la direction militaire et de la représentation diplomatique avec une représentation nationale élue par le suffrage universel. C’était un expédient destiné à réduire l’Autriche aux dernières résolutions. Il n’avait plus de ménagemens à garder, il était d’accord avec l’Italie, le traité d’alliance allait être signé, et la France restait silencieuse. Aussi disait-il dans un langage fier et convaincu à notre ambassadeur, qui le questionnait avec une véritable anxiété sur ses projets : « J’ai déterminé un roi de Prusse à rompre les relations intimes de sa maison avec la maison impériale d’Autriche, à conclure un traité d’alliance avec l’Italie révolutionnaire, à accepter éventuellement des arrangemens avec la France impériale, et à proposer à Francfort le remaniement du pacte fédéral avec le concours d’une assemblée populaire. Je suis fier d’un pareil résultat ; j’ignore s’il me sera permis d’en recueillir les fruits, mais,