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tâté le pouls et, suivant ce qu’il mande, il ne l’a trouvé ni plus lent ni plus rapide. Je ne présume pas que ce qu’il avait à dire fût de nature à en accélérer les battemens. Je dois ajouter cependant qu’on n’est nullement mécontent des informations qu’il a consignées dans ses dépêches. On sait donc ce qu’on doit penser de nos intentions et de notre attitude, dont je ne puis rien vous dire n’ayant pas été mis dans le secret, et M. Drouyn de Lhuys se bornant en m’en remerciant de la meilleure grâce du monde, à m’accuser réception de ma correspondance[1]. »

Tandis qu’à Berlin le roi s’entourait de tous ses conseillers, que ses généraux, ses ministres, ses diplomates et les princes de sa famille, tous animés d’un même sentiment, discutaient en commun, sur un programme nettement défini, les moyens d’assurer la grandeur du pays et de le prémunir contre toutes les mauvaises chances, à Paris, les ministres, divisés, laissaient les plus graves événemens se développer au hasard sans procéder à aucune mesure de prévoyance, s’en remettant pour sauvegarder les intérêts de la France aux inspirations et à la fortune du souverain.

Vers le milieu du mois de mars, le général de Moltke était sur le point de partir en mission secrète pour Florence; déjà ses préparatifs étaient faits, son passeport visé, lorsqu’un officier supérieur italien arrivait inopinément à Berlin. C’était le général Govone, qui, parti mystérieusement de Suisse pour ne pas donner l’éveil, venait, sous le prétexte futile d’étudier l’organisation militaire prussienne, pressentir les dispositions du gouvernement du roi, et entrer en arrangement avec lui. Il proposait un traité stipulant la guerre à date fixe et d’une exécution très prochaine. C’était plus que n’ambitionnait le cabinet de Berlin ; il voulait bien, au point où en étaient les choses, s’engager éventuellement, mais il jugeait que ses rapports avec l’Autriche n’étaient pas encore suffisamment altérés, et que son travail préparatoire en Allemagne n’était pas assez avancé pour adopter des résolutions définitives impliquant l’emploi immédiat de la force.

Au fond, les méfiances étaient réciproques ; à Berlin, on soupçonnait les Italiens de poursuivre plus d’un but à la fois, et les Italiens craignaient que la Prusse ne voulut se servir d’eux pour se faire céder les duchés par la cour de Vienne. Le général de La Marmora croyait savoir qu’à Gastein M. de Bismarck n’avait pas craint de dénoncer et de compromettre l’Italie, et le ministre dirigeant de Prusse reprochait de son côté au cabinet de Florence d’avoir, par l’entremise de M. Landau, révélé au général autrichien ses ouvertures

  1. «Je suis confus de ne pas répondre à vos lettres particulières. Elles sont fort intéressantes, mais vous n’en pourriez pas dire autant de mes réponses officielles. » — Lettre particulière du 7 mars 1866. — M. Drouyn de Lhuys.