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de Marseille. Il y en a un qui ne veut pas qu’on se fasse représenter à Notre-Dame, parce que c’est une cérémonie religieuse ; il y en a un autre qui frémit encore à la pensée que M. Thiers a parlé un jour de la « vile multitude. » Un troisième n’entend pas raillerie sur ses droits, il ne pardonne pas à l’ancien président de la république d’avoir osé dissoudre un conseil municipal dont il faisait partie. Le plus original est celui qui résume tout en proclamant que M. Thiers est « l’autour des mitraillades de la rue Transnonain, le bourreau de la commune,… l’émule des deux Bonaparte! » Ceux qui parlent ainsi ne sont point la majorité sans doute, puisqu’ils ont été vaincus au scrutin; ils forment cependant une minorité assez sérieuse, surtout fort bruyante, — et voici maintenant une bien autre histoire! Depuis que l’envoi des délégués au service de M. Thiers a été décidé en dépit des furibonds, ce malheureux conseil municipal, maigre tous les gages qu’il a donnés au radicalisme, est signalé comme l’âme damnée de la préfecture. Le vote qu’il a émis « est le triomphe de la réaction. » Les Marseillais sont « menacés d’une honte » — la honte d’avoir des commissaires à Notre-Dame ! Ils sont sommés de rappeler leurs représentans « à la pudeur, au respect de leur mandat. » C’est la minorité qui crie tout cela depuis quelques jours, — et les Marseillais, qui passent pour des gens d’esprit, finiront peut-être par s’apercevoir qu’avec les conseillers qu’ils se sont donnés ils courent le risque d’être couverts d’un indicible ridicule; car enfin cela ne fait rien à M. Thiers que les délégués de sa cité natale soient absens ou présens à Notre-Dame, tandis que l’aimable et ingénieuse ville aurait pu avoir à dévorer l’humiliation d’être livrée à la risée du monde en paraissant renier le plus glorieux de ses enfans, celui qui à lui seul représente pour Marseille et pour la France plus d’illustration que toutes les assemblées locales présentes et futures. Ce n’est rien assurément, ce n’est qu’un conseil municipal ou une fraction de conseil municipal qui crie ! C’est pourtant un symptôme. Les radicaux de Marseille et ceux qui peuplent les conseils locaux de quelques autres villes tiennent à ne pas se laisser oublier, à rappeler de temps à autre qu’ils ont leur république et leur politique à eux. Un jour ils veulent mettre à bas la statue de M. de Belzunce par une fantaisie révolutionnaire; un autre jour, c’est M. Thiers qui à leurs yeux n’est pas moins réactionnaire que M. de Belzunce, On n’ignorait pas leurs sentimens; on savait bien qu’ils ne réservaient pas leurs dévotions pour Thiers ou Lamartine, Ils montrent une fois de plus ce qu’on pourrait attendre d’eux, et contre leurs jactances, contre leurs agitations, la politique la plus efficace aujourd’hui c’est de donner une force de gouvernement à cette république légale, constitutionnelle, que représentent avec éclat les noms de Lamartine et de Thiers, — la seule que le pays ait acceptée et qu’il puisse accepter.

Tout ce qui peut préparer ou hâter ce résultat est évidemment ce