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démon du panthéisme au pays d’où il était venu, c’est-à-dire au diable. J’ai passé une revue sévère dans mon cœur et j’en ai chassé beaucoup de canailles. » — Lorsqu’il composa les Albigeois, son christianisme s’altérait déjà au point d’alarmer l’orthodoxe Kerner, et peu après le mystique Lenau, roulant de nouveau dans le scepticisme, rêvait d’écrire un Don Juan, dont il ne termina que des fragmens. — Au fond, la philosophie de Lenau n’est qu’un mélange confus de mysticité et de doute, un chant monotone et inquiet dont l’éternel refrain est « je ne sais pas. » C’est la pénible et vaine agitation d’un oiseau farouche enfermé dans une cage, et se heurtant incessamment aux mailles des barreaux jusqu’à ce qu’il tombe affolé et meurtri. Une pièce intitulée Soir d’automne donne une idée de cette souffrance morale et des préoccupations métaphysiques qui commençaient à obscurcir son esprit :


Un vent frais fait voler les feuilles, on dirait
Qu’il murmure l’adieu du soir à la forêt.

La lune monte et luit. De blancs nuages glissent
Rapides, effarés, sur les bois qui gémissent.

Là-bas, un ruisselet court dans l’herbe, emportant
Des feuillages jaunis qu’il traîne en sanglotant.

Jamais source en pleurant n’eut de plainte si douce…
Près d’elle un saule tord ses bras rongés de mousse.

Songeant à mes chers morts, penché sur le talus,
J’écoute, et l’eau me dit : « Nous ne nous verrons plus ! »

Tout à coup l’air s’emplit d’une rumeur croissante ;
C’est un vol de halbrans que l’hiver épouvante.

Par-dessus la colline et le val ténébreux
Ils fuient, laissant le froid et la mort derrière eux.

Où vont-ils ?.. Dans le vent leur tourbillon qui passe
Vers l’horizon brumeux déjà plonge et s’efface ;

Mais de leurs cris lointains la confuse rumeur
Me met la nostalgie et la tristesse au cœur.

Vers le sud ils s’en vont en chantant. — Vainc joie !
Au midi comme au nord la mort atteint sa proie.

La nature en ses vains rêves d’éternité.
S’agite et voudrait fuir le trépas redouté,

Et la longue clameur des oiseaux de passage
De ce rêve fiévreux semble le cri sauvage…

Tout s’apaise. Ils sont loin maintenant. Plus un bruit.
Seul le doute en mon cœur commence un chant de nuit.

La vie humaine est-elle un faux-semblant ?.. N’est-elle
Qu’un mirage, un reflet de la vie éternelle ?