seuls. — On venait à chaque instant nous épier, — tu laissais seulement de temps à autre — tomber vers moi au milieu du bouillonnement — de l’eau une parole familière, — Je disais ; « Le voyage va bientôt nous séparer ! — Nous reverrons-nous encore ici? — Ici, peut-être, un jour, » répondais-tu, si bas — que je pouvais à peine comprendre tes paroles. »
Si attrayante qu’elle fût, cette passion n’était pas faite pour rasséréner l’âme inquiète de Lenau, les circonstances mêmes qui accompagnaient cette intimité étaient une cause de trouble et de fiévreuse agitation. L’humeur du poète s’en ressentait, elle devenait plus inégale et plus farouche. Ses amis de Souabe s’en apercevaient de plus en plus à chaque voyage, et s’en plaignaient doucement. — « Niembsch est venu et n’est resté qu’un jour. Et le lendemain était son jour de naissance que nous aurions tant voulu fêter avec lui! Il était de mauvaise humeur, froid et bourru. Cependant j’ai cherché à l’excuser, mais je lui ai écrit franchement mon opinion sur sa maussaderie, et il en a fait lui-même l’aveu... Certes ce n’est pas inconstance si mon cœur s’attache plus au vieux Niembsch d’autrefois qu’au célèbre Lenau d’aujourd’hui, et à la source primitive de sa poésie, sortant claire du rocher, qu’à ce torrent fumeux où déjà tant de courans étrangers viennent se mêler. La source reste cependant, et j’y reviens toujours pour y puiser une consolation (27 août 1842). » — Déjà, quelques mois auparavant, lors de la publication du poème des Albigeois, il y avait eu un malentendu entre Kerner et Lenau, une brouille légère qui ne s’était manifestée que par un échange de lettres attristées, mais qui n’avait pas tenu un moment, dès que les deux amis s’étaient trouvés en présence l’un de l’autre. — « Lenau, disait Kerner, ressemble à l’ananas, il est rugueux au dehors et doux au dedans, comme l’ananas. » — Mais le dedans se laissait pénétrer de moins en moins, les accès d’humeur se multipliaient, Lenau devenait chaque jour plus irritable, plus inquiet et plus difficile à fixer. Il quittait brusquement les résidences où on le croyait installé pour de longs mois, allant de Vienne à Bade, et de Bade méditant un voyage en Styrie. C’était une continuelle anxiété, un continuel besoin de déplacement, comme chez ces malades qui croient se soulager en changeant de position dans leur lit de souffrance.
L’amour qui se développe en dehors des conditions saines et normales du mariage amène forcément avec lui ces froissemens et ces inquiétudes. Même lorsqu’il unit deux natures d’élite, comme Lenau et Sophie de..., il a jusqu’au fond de ses plus intimes délices je ne sais quel arrière-goût amer et fiévreux. Aux heures où la passion s’assoupit, les exigences et les intolérances de la vie sociale apparaissent plus cruelles et plus agaçantes. Les ménagemens