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inexpliquée, les notes hautes répondent à certains états de l’âme, les notes basses à d’autres tout différens, — ne serait-ce pas que l’hérédité a comme imprimé dans notre organisation intellectuelle et morale un vague ressouvenir du langage musical de nos premiers pères, et qu’ainsi, dans les œuvres des grands compositeurs, nous entendons, sans le reconnaître, le retentissement affaibli des mélodies par lesquelles l’humanité, muette encore, racontait ses amours et ses haines, ses luttes, ses jalousies, ses fureurs, ses souffrances et ses joies?

Diminuez le volume de la voix, supprimez les notes qui dépassent une certaine hauteur moyenne, et la phrase musicale se rapproche du récitatif, assez voisin lui-même de la phrase parlée. M. H. Spencer établit que toute émotion dégage une quantité plus ou moins grande de force nerveuse qui produit des mouvemens musculaires d’une intensité corrélative; ces mouvemens peuvent se manifester par des sons de l’organe vocal, et, comme les notes les plus basses et les plus élevées sont celles qui exigent le plus d’effort, elles sont l’expression naturelle d’une sensibilité violemment excitée ; inversement, les notes moyennes traduisent une sensibilité moins émue : de la phrase musicale à la phrase parlée, il y a donc extinction graduelle de l’émotion. Mais on peut concevoir de l’une à l’autre une série indéfinie de transitions, en sorte que le ton passionné se soit abaissé peu à peu à celui de la raison tranquille. N’est-ce pas là en effet ce que confirme la marche historique de l’esprit humain? La prose n’est-elle pas née partout de longs siècles après la poésie qui à l’origine se confondit avec le chant?

L’explication précédente rend à peu près compte de l’évolution générale de l’expression vocale, mais elle ne nous apprend pas d’où est sorti l’élément même du langage articulé, le mot. — Sur ce nouveau point, qui est décisif, le transformisme aurait, semble-t-il, gain de cause, s’il pouvait établir que le mot est dérivé naturellement, soit des interjections inarticulées qui traduisent les sentimens primordiaux de l’âme humaine, soit de l’imitation des sons extérieurs, et particulièrement du cri des animaux.

On sait les graves objections de Max Müller contre ces deux théories de l’imitation et de l’interjection, et l’importance fondamentale qu’il attribue, pour la formation du langage, aux racines; elles marquent, selon lui, le point précis où commence la parole vraiment humaine et établissent entre le langage émotionnel, qui pourrait nous être commun avec la bête, et le langage intellectuel qui nous appartient en propre, une ligne de démarcation infranchissable. Mais, malgré tout notre respect pour la haute autorité de