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la nature même des solutions, l’évolutionnisme n’eût pour lui d’être en plus complet accord avec la grande tradition philosophique de tous les temps. L’essence de la philosophie, c’est d’être un système qui explique, autant que possible, la genèse de tous les êtres et de tous les phénomènes : là où l’expérience l’abandonne, elle a recours aux hypothèses ; mais elle manquerait à sa mission, si elle refusait d’aborder les problèmes d’origine, sous le prétexte que les données positives lui manquent pour les résoudre. Un grand philosophe est une intelligence héroïque que tente l’inconnu, qu’attire l’inaccessible ; il lui faut l’ambition sublime de refaire par sa pensée l’univers, de retrouver dans l’enchaînement de ses concepts l’unité du lien causal qui va d’un bout à l’autre de la nature et de l’histoire. Mais en même temps, et c’est là son originalité et sa puissance, il doit faire concourir à cette œuvre toutes les connaissances spéciales de son époque, et fonder sur les procédés les plus rigoureux de la science la légitimité de ses généralisations les plus hautes. Par là seulement la philosophie est ce qu’elle doit être, l’expression la plus complète de l’esprit humain à un moment donné de son développement.

A ne tenir compte que de la largeur des vues, de la compréhension des formules, de la masse des faits ramenés à l’unité d’un système, nous ne craignons pas de dire que l’évolutionnisme est aujourd’hui ce que furent, au commencement de notre siècle, l’hégélianisme et le kantisme, ce que fut au XVIIe la philosophie de Descartes, et dans l’antiquité celle d’Aristote. Et nous le disons volontiers, parce qu’on ne gagne rien à méconnaître la grandeur d’une doctrine dont on repousse le principe et les conclusions. L’amour du vrai ne va pas sans une sympathie profonde pour toute entreprise sincère d’arriver au vrai, eût-elle dévié vers l’erreur ; joint à cela qu’une conception philosophique ne saurait faire quelque fortune sans contenir une part importante de vérité, et que c’est cette vérité à qui l’on refuse hommage en dépréciant, par un faux zèle, les théories mêmes qui paraissent mériter les plus énergiques réfutations.


I.

L’un des points sur lesquels l’évolutionnisme semble jusqu’ici le plus embarrassé, celui pourtant où il aurait le plus d’intérêt à fournir une explication nette et précise, c’est la question de l’origine du langage. Ici, M. Darwin hésite; Huxley, Hæckel, se contentent de quelques affirmations sans preuves. Il n’est pas à notre connaissance que M. Spencer ait encore porté sur ce sujet le puissant