Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et, pour tout dire, par leur qualité, des soldats du service remplacé. Si en outre, dès l’école primaire ou le collège, les principes et les devoirs des armes sont entrés, — comme je l’ai expressément demandé[1], — dans l’enseignement qu’ils ont reçu, ils arriveront sous les drapeaux dans des conditions de préparation morale et professionnelle bien supérieures à celles qu’ils y apportaient autrefois. Comment, dans le régiment, cet enseignement pourra-t-il être continué et complété? C’est ce que je vais expliquer :

Les armées se composent, en principal, de grandes fractions organisées, qui sont le corps d’armée, la division, la brigade, et de petites, qui sont le régiment, le bataillon, la compagnie, l’escadron ou la batterie, ces trois dernières représentant des unités spéciales numériquement limitées. Les individualités qui forment leur personnel sont destinées, dans la paix, à vivre, à apprendre et à travailler, dans la guerre à marcher et à combattre ensemble. Leurs relations sont de tous les jours et de tous les instans; leurs besoins, leurs intérêts sont les mêmes, communauté d’où naît la camaraderie de la chambrée. A la guerre, surtout au combat, ces hommes sont généralement les seuls qui soient assez étroitement rapprochés les uns des autres pour que l’assistance mutuelle, d’où naît la confraternité du champ de bataille, soit effective. Aussi chacun de ces groupes est-il plus qu’une unité militaire, il est comme une famille militaire, et la preuve que tous ses membres, bons et mauvais, subissent cette invincible influence, c’est que tous, quand il s’agit de la compagnie, de l’escadron ou de la batterie, disent «chez nous, » comme les bourgeois disent a à la maison. »

C’est là, il faut le reconnaître, une grande force à utiliser, une force d’autant plus précieuse qu’elle est unique et n’a pas son analogue dans toutes les autres parties constitutives d’une armée, bien que le régiment puisse en revendiquer une part, mais d’un caractère plus général et moins intime. C’est ce groupe commandé par un capitaine qui est le point de départ de l’instruction technique et de l’administration comptable (troupes) de l’armée entière. Nous n’avons pas pensé en France à utiliser autrement sa puissance presque illimitée d’initiation, si propre à en faire le centre créateur d’une forte éducation militaire. Il faut y penser à présent. Il faut que les soldats du service obligatoire, qui sont la nation armée, trouvent dans la compagnie (ou l’escadron ou la batterie) la continuation de l’école primaire et du collège pour l’enseignement, devenu spécial et pratique, des principes et des devoirs de leur état[2]. A qui appartiendra l’obligation avec la responsabilité de ce

  1. Voyez la Revue du 1er février.
  2. Il ne faut pas perdre de vue que servir aujourd’hui dans l’armée, c’est remplir un mandat public et non plus faire un métier, quoique des années doivent encore s’écouler, je le crains, avant que nos officiers, parlant de ce mandat, cessent de dire ou d’écrire, en vertu d’une tradition bien plus que séculaire, « le métier. »