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Les travaux ne furent donc point interrompus, et ils marchèrent si rapidement, si au gré de tous les souhaits, que le marquis de Sigoyer put détacher trente hommes de son bataillon pour les envoyer au pavillon Richelieu, où la bibliothèque embrasée était, de ce côté-là aussi, une menace pour le Louvre. Fort heureusement les capitaines du génie MM. Delambre et Riondel y étaient.

Ils avaient rassemblé dans la rue de Rivoli une compagnie du 91e de ligne et avaient pénétré dans la caserne de l’ancienne gendarmerie de la garde. En passant par les lucarnes, on avait pu arriver au mur qui sépare ce bâtiment de la bibliothèque; il était temps, les portes braisaient déjà, la caserne allait prendre feu et elle est, par le pavillon Colbert, contiguë au Louvre même. On trouvait bien partout des conduites d’eau, mais les robinets à écrou étaient fermés, et nul n’en avait la clé qui, selon un déplorable usage, était déposée chez le fontainier. Le capitaine Delambre courait partout en demandant les clés. Un serrurier, brigadier de la chambre de veille des Tuileries, M. Julien Grandubois, se dévoua; il traversa les rues que sillonnaient les balles, arriva sain et sauf rue de Lévêque où demeurait le fontainier, qui accourut. On avait de l’eau dès lors en abondance et on organisa un service de secours. On requérait du monde pour faire la chaîne. A cet appel on ne répondit pas avec un bien vif empressement, si j’en crois M. Gerspach, qui y était, et qui a dit : « Presque personne n’est venu; il est vrai que des obus tombaient toujours, mais enfin on pouvait passer ; nous aurions dû être plus d’un milier, nous n’avons été qu’un nombre insignifiant. » Ce nombre insignifiant a dû se multiplier par sa propre énergie, car il a réussi à rompre l’action du feu et à protéger les musées du Louvre.

A midi, le colonel des sapeurs-pompiers de Paris, M. Villerme, arrivait au pas de course. Installé dans la caserne de Passy depuis la veille, il avait reçu à dix heures du matin ordre du maréchal de Mac-Mahon de se transporter aux Tuileries avec tout son personnel et son matériel pour combattre l’incendie allumé par la commune. Le sauvetage prit alors une direction homogène et méthodique; le feu fut vaincu dans les règles. Des pompes, dressées contre la galerie Rivoli, empêchèrent les flammes d’envahir le pavillon de Rohan; d’autres furent mises en batterie à la hauteur de la salle des états où travaillaient toujours les chasseurs du commandant de Sigoyer: pendant ce temps, le lieutenant-colonel de Dionne renforçait les secours portés au pavillon Richelieu et envoyait une forte escouade. au Palais-Royal. A deux heures, le feu qui s’avançait vers le Louvre était maîtrisé, à cinq heures il était sans péril. Est-ce à dire pour cela que nos musées aient été à l’abri de tout danger aussitôt