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hanche droite ne l’arrêta guère, et il continuait à harceler l’ennemi lorsque, le 22 novembre, un éclat d’obus lui brisa le péroné de la jambe droite. Thionville, malgré sa vaillance, n’était point en état de résister aux forces qui l’accablaient, elle capitula. Le commandant de Sigoyer, blessé, la jambe entourée d’un appareil, fut laissé à l’ambulance installée dans un ancien pensionnat dont le mur de clôture plongeait dans la Moselle. M. de Sigoyer avait près de lui un soldat légèrement blessé qui lui servait d’ordonnance. Celui-ci, d’après les ordres de son commandant, vérifia le mur de clôture et y découvrit une brèche assez large pour donner passage à un homme. On se procura des cordes, et, profitant d’une nuit sombre, on se laissa glisser jusqu’aux bords de la rivière; on découvrit une barque prussienne, on y monta, on coupa les amarres, et, par un froid glacial, on s’en alla au fil de l’eau. M. de Sigoyer souffrait considérablement, car il n’est pas facile de traîner une jambe brisée à travers de pareilles expéditions. Les fugitifs se laissèrent dériver sur la Moselle pendant 8 kilomètres, et eurent la chance vraiment providentielle d’être recueillis par un ancien officier français qui les soigna et leur facilita les moyens de gagner le Luxembourg. Sigoyer traversa rapidement la Belgique et vint se mettre à la disposition de la délégation de Tours, qui l’envoya former à Saint-Omer un nouveau bataillon de chasseurs à pied. Dès que l’état de sa blessure lui permit de monter à cheval, il rejoignit l’armée de Faidherbe et s’y comporta selon son habitude, c’est-à-dire héroïquement. L’armistice le désespéra, il écrivait à un de ses parens : « Vous êtes heureux, vous autres, de pouvoir rire encore; moi, je ne rirai plus jamais, jamais ! » Le 26e bataillon, qu’il commandait depuis le 23 décembre 1870, fut attiré à Versailles, et prit part à tous les combats sous Paris. Bernardy de Sigoyer était un admirable type de soldat : sa forte tête, ses cheveux ras, son ferme regard, ses maxillaires inférieurs légèrement saillans comme ceux de tous les hommes d’énergie, ses larges épaules, sa taille moyenne, mais solide, rappelaient un peu la figure du maréchal Ney. Il devait avoir la décision prompte et l’action redoutable; très bon en outre et très paternel pour ses soldats, il leur donnait toujours l’exemple et leur rappelait souvent que, lui aussi, il avait porté le sac au temps de sa jeunesse. On peut croire qu’un tel homme, blessé en Afrique, blessé en Crimée, blessé en Italie, deux fois blessé à Thionville, toujours sacrifié au devoir et amoureux de la France, avait vu avec horreur la commune étaler ses hontes devant les Allemands victorieux. Lorsque le 21 mai, vers six heures du soir, le général Douay passa devant le 26e bataillon, il remarqua l’animation du commandant de Sigoyer.