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pas vous dénoncer, et nous ne vous dénoncerons pas. — Vers six heures du soir, les gardiens furent délivrés ; ils rentrèrent au Louvre humiliés, harassés de fatigue et mourans de faim, car depuis la veille ils n’avaient point mangé. On apprit alors quelle atroce et burlesque comédie l’on avait jouée avec eux. On leur avait dit qu’ils allaient être fusillés, s’ils ne se hâtaient d’indiquer dans quelle partie secrète des caves se trouvait l’entrée du souterrain, du fameux souterrain qui va au Champ de Mars ; pendant ce temps, des fédérés venus au Louvre disaient à l’un des fonctionnaires que, s’il ne livrait la clé du souterrain, les gardiens détenus à la mairie seraient fusillés. Et dire que ces brutes s’étaient installées à l’Hôtel de Ville dans l’intention formelle et préconçue de répandre quelques lumières sur notre civilisation infectée d’obscurantisme !

On avait annoncé aux employés du Louvre que le 112e bataillon allait venir camper dans la cour ; on l’attendit avec inquiétude ; il ne vint pas, et l’on en fut heureux, car un combat livré aux portes mêmes des musées aurait pu avoir de détestables résultats. Dans ce quartier, du reste, l’heure n’était plus à la défense, elle était tout entière aux incendies ; on n’en put douter quand on vit les flammes jaillir du pavillon de Flore et du pavillon Marsan. Lorsque la salle des Maréchaux fit explosion, l’angoisse fut inexprimable : « Le Louvre va-t-il donc sauter, et tant de richesses accumulées et nous aussi ? » Là encore on fut admirable, et nul ne déserta son poste. Parmi ceux qui restaient imperturbablement il y avait un homme, un homme considérable, dont le logement était situé rue de l’Université. Son devoir était au Louvre, son cœur était à la maison où sa femme l’attendait. Toute la rue de Lille n’était plus qu’un brasier masquant d’mi rideau de feu la zone voisine, et l’on pouvait, l’on devait croire que la rue de l’Université brûlait. Celui dont je parle, qui le matin s’était offert en qualité d’otage pour obtenir la liberté des gardiens, ne bougea pas, semblable à un bon capitaine de vaisseau, ferme et demeurant le dernier sur le navire en perdition. Quelques gens descendirent leurs enfans et leur femme dans les caves, que l’on visita avec soin, car on voulait s’assurer que nulle matière explosible n’y avait été déposée. On fit une ronde générale : dans les sous-sols, dans les combles, dans les ateliers, dans les galeries, dans les salles. Tout le personnel était debout ; on avait réuni dans le même lieu les seaux, les pioches, les louchets, en un mot tous les ustensiles de sauvetage que l’on avait pu découvrir. Plus la nuit avançait, plus les flammes paraissaient terribles, plus le péril semblait se rapprocher. Dans le salon carré, on rencontra les délégués, Héreau et Dalou ; ils s’approchèrent d’un conservateur et avec quelque embarras parlèrent de mesures à prendre et