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projet qu’il ne put mettre à exécution, mais qui était d’une perversité odieuse. A l’heure de nos premières défaites, lorsque les diamans de la couronne, confiés à M. Chazal, et l’encaisse métallique de la Banque de France étaient transportés à Brest, les conservateurs des musées du Louvre et du musée du Luxembourg expédièrent dans la même ville nos tableaux les plus précieux. Cette opération de transbordement, longue et assez difficile, fut brusquement interrompue par la révolution du 4 septembre. Quelques-uns des objets réservés au transfert étaient seuls partis, les autres restaient au Louvre. Dès lors, aucun de nos chefs-d’œuvre ne quitta les musées, sauf la Vénus de Milo, qui, nuitamment enlevée par ordre de M. Jules Simon, alors ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, fut cachée dans une cave de la préfecture de police où, après la commune, on la retrouva dans un état pitoyable[1]. Les tableaux réfugiés à Brest manquaient naturellement dans les salles; Jules Héreau eut la prétention d’ouvrir celles-ci au public et de faire placer sur tout cadre dont la toile avait été enlevée l’inscription : disparu. C’était livrer le conservatoire du Louvre, composé des plus honnêtes gens du monde, aux suspicions et aux accusations de la commune, que sa bêtise n’en rendait point avare. Le fonctionnaire en présence duquel cette question se débattait ne put contenir un mouvement d’indignation, et il commençait à parler avec véhémence lorsqu’il fut brusquement interrompu par Oudinot, qui déclara que jamais il ne tolérerait une pareille infamie. Ce mot justifié, tombant de tout son poids sur Jules Héreau, mit fin à la discussion. Fort heureusement, car il y avait au Louvre tels hommes qu’il me serait facile de nommer qui se seraient fait tuer devant les cadres vides plutôt que de tolérer qu’on y attachât une inscription infamante pour eux.

Oudinot n’était point l’homme qui convenait à la commune, car reculer devant une bassesse indiquait des sentimens d’un civisme peu exalté; en outre il était, non pas bienveillant, mais respectueux envers les conservateurs et les avait secrètement prévenus, le vendredi 19 mai, qu’un mandat d’arrêt collectif signé contre eux serait probablement mis à exécution le 22. Aussi le 20, Oudinot était destitué et remplacé, en qualité de directeur, par un certain M. Brives qui, dit-on, avait été représentant du peuple en 1848; en cas d’absence du susdit, c’était Jules Héreau qui était chargé

de donner des ordres, — ordres fort incohérens du reste et parfaitement incompréhensibles, qui consistaient à mettre les scellés

  1. Un tuyau de conduite crevé par l’incendie avait répandu un immonde contenu sur la malheureuse statue, qui, ramassée en trois morceaux, baignait dans des sanies indescriptibles.