Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donner un coup de main au brave colonel Boursier, afin de réduire en cendres cette autre demeure des tyrans. — Les portiers, les hommes de service du nouveau Louvre croyaient être définitivement débarrassés de ces gredins, mais ils se trompaient et allaient bientôt apprendre de quoi est capable un citoyen vraiment dévoué à la commune. L’ancien logis de Philippe-Égalité commença à brûler sérieusement vers trois heures du matin; à quatre heures, le portier du pavillon central de l’ancien ministère d’état, qui s’élève au milieu de la place et fait vis-à-vis au dôme du Palais-Royal, vit arriver trois hommes qu’il reconnut : c’étaient Victor Bénot, Boursier et Kaweski. Ils portaient deux bidons blancs sur lesquels on lisait le mot fusêens et un numéro matricule. Bénot demanda les clés de la bibliothèque. Comme le malheureux concierge hésitait, Bénot se précipita sur lui et le frappa. Il remit les clés. — Les trois bandits se précipitèrent dans l’escalier; le portier montait derrière eux en suppliant et en criant : « Ne brûlez pas ! ne brûlez pas! » Boursier s’arrêta et mit son revolver en main. Le portier se laissa tomber sur une des marches, stupéfait et atterré. Au moment où il se redressait, une quinzaine de fédérés passèrent devant lui, lestes comme des chats, et courant vers la bibliothèque. Le pauvre homme descendit et resta devant la porte, regardant machinalement le Palais-Royal qui flambait. Il vit un groupe de fédérés du 202e bataillon qui filaient au pas de course s’arrêter devant une des casernes de la rue de Rivoli occupée par les pompiers. Quelques instans après, les pompiers, portant des malles et des paquets sur le dos, s’enfuyaient. Les fédérés leur avaient dit : « Le palais est miné, tout va sauter ! »

Boursier, Bénot, Kaweski, les quelques fédérés qui les avaient rejoints étaient dans la bibliothèque et l’incendiaient. C’était l’ancienne bibliothèque du roi[1], la bibliothèque de l’empereur; improprement on l’appelait la bibliothèque du Louvre. Elle remplissait l’énorme travée transversale qui, allant du square Napoléon à la place du Palais-Royal, se terminait d’un côté par le pavillon Richelieu et de l’autre par le pavillon de la bibliothèque. C’est là que les souverains déposaient les cadeaux de « librairie» qu’ils recevaient;

il y avait des incunables, des exemplaires uniques, des reliures merveilleuses. Qu’est-ce que ça pouvait faire à Bénot? On eût dit à ces

  1. La bibliothèque de la rue Richelieu était la bibliothèque royale. Pour savoir combien furent irréparables les suites de l’incendie de la bibliothèque du Louvre, lire : Pertes éprouvées par les bibliothèques publiques de Paris pendant le siège par les Prussiens en 1870 et pendant la domination de la commune révolutionnaire en 1871 ; rapport à M. le ministre de l’instruction publique par M. Henin Baudrillart. Paris, 1872.