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Hébert, où tous les législateurs chers aux révoltés avaient bavé leur venin.

Bergeret ne se sentait pas d’aise, et il voulut que la bonne nouvelle parvînt immédiatement au comité de salut public. Il écrivit ce billet au crayon : «Les derniers vestiges de la royauté viennent de disparaître; je désire qu’il en soit de même de tous les monumens de Paris. » Puis il fit porter cette dépêche à l’Hôtel de Ville par son officier d’ordonnance Thomas, qui, de son premier métier, avait conservé l’habitude de faire ponctuellement les commissions[1]. Thomas a raconté lui-même comment il fut reçu à l’Hôtel de Ville : « Les quelques membres du comité qui se trouvaient présens, a-t-il dit, ont accueilli cette nouvelle par des bravos et m’ont invité à boire; seul, Delescluze paraissait soucieux. « Il n’est point douteux que l’incendie des Tuileries n’ait été considéré comme une victoire par les gens de la commune ; tous les communards qui ont écrit leur histoire s’en sont félicités. M. Lissagaray lui-même ne peut s’empêcher de tomber, à ce propos, dans un pathos niais. « De formidables détonations, dit-il, partent du palais des rois, dont les murs s’écroulent, les vastes coupoles s’effondrent. Le flot rouge de la Seine reflète les monumens et double l’incendie. Chassées par un souffle de l’est, les flammes irritées se dressent contre Versailles et disent au vainqueur de Paris qu’il n’y retrouvera plus sa place, et que ces monumens monarchiques n’abriteront plus la monarchie. » Erreur profonde, ô lugubres nigauds que vous êtes; si jamais la monarchie revenait en France, ce sont les forfaits que vous avez commis pendant la commune qui la ramèneraient. Et puis à quoi bon brûler les palais sur lesquels, après chaque révolution, l’on écrit : Propriété nationale. Il y a longtemps en France que les châteaux royaux ne sont plus que des auberges de passage : on y entre au son des fanfares; à peine installé, il en faut déguerpir au bruit des sifflets; triste demeure qui découvre la place où tombent les têtes couronnées, toute martelée par les balles populaires, toute noire du pétrole social, hôtellerie périlleuse qui devrait avoir pour enseigne: Au Juif errant!

Le général Bergeret avait accompli son œuvre ; il estima qu’il était quitte avec la commune et il partit, redevenu bien plus Jean que devant. Victor Bénot et Kaweski, plus vaillans et moins satisfaits d’eux-mêmes, comprirent qu’il leur restait encore quelque mal à

faire, et, tout en fumant leur cigare, ils s’en allèrent au Palais-Royal

  1. Le véritable nom de ce personnage, né au Sénégal le 14 octobre 1838, est Victor-Jacques-Hippolyte Thomas. Il était le neveu du général Clément Thomas. La mort violente de son oncle, assassiné par les insurgés du 18 mars, ne l’empêcha pas de servir la commune avec quelque dévoûment.