recevoir une provision de pétrole et de poudre ; cela avait exigé près de quatre heures. Le plan était fort simple : mettre le feu aux pavillons d’angle et aux galeries ; l’incendie en se propageant atteindrait la salle des Maréchaux, dont l’explosion entraînerait l’anéantissement du palais tout entier. On vit une quinzaine d’hommes armés de longues perches à l’extrémité desquelles brillait une lumière passer devant les fenêtres, marchant du pavillon de Flore vers le pavillon de l’Horloge. Du côté du pavillon Marsan, un gardien faisant sa ronde dans les sous-sols aperçut Étienne Boudin et son planton, le manchot Albert Sech, accroupis, tenant chacun une chandelle à la main, près d’un amas de paille et de vieux papiers. L’expression du visage des incendiaires était si terrible que le pauvre homme fut saisi de frayeur et se sauva.
Les premières lueurs apparurent à la salle de stuc ; les meubles du président de la république flambaient. Il était environ neuf heures. Dardelle, inquiet, se promenait dans la cour ; Madeuf s’approcha de lui et lui parla bas à l’oreille. Dardelle courut au vestibule de la régie où plusieurs employés étaient rassemblés ; s’adressant au sieur Angel, il lui dit avec émotion : — Êtes-vous de service ? Qu’importe ! vous me répondez sur votre tête que tous les employés des Tuileries auront, dans un instant, quitté ce palais qui va sauter. — Le brigadier Tholomy s’écria : — Comment permettez-vous cela ? — Dardelle répondit : — Je n’y puis rien, c’est Bergeret qui le veut ! — Ce fut une exclamation d’horreur ; on courait, on s’appelait : en deux minutes, tous ces malheureux s’entassaient devant le guichet pour se sauver ; les fédérés de garde croisèrent la baïonnette et refusèrent de les laisser sortir. À ce moment, le commandant Madeuf apparut et très brutalement donna ordre de livrer passage. Les employés s’enfuirent. Ils ont cru que, dans le conseil de guerre ou plutôt d’incendie tenu par Bergeret, on avait décidé qu’ils seraient tous fusillés ; ils en ont trouvé la preuve dans ce fait que les sentinelles se sont opposées à leur départ. Leur mémoire un peu effarée les a mal servis ; on ne pouvait franchir la porte des Tuileries qu’en disant le mot d’ordre qu’ils ne connaissaient pas. Si, comme ils se le sont figuré, ils avaient été destinés à être passés par les armes, Dardelle ne se serait point empressé de les prévenir du danger auquel les exposait la prochaine explosion des Tuileries, et Madeuf ne serait point accouru pour rectifier une consigne mal interprétée. Dardelle et Madeuf sautèrent à cheval et disparurent au galop. On a raconté qu’Alexis Dardelle avait pris part à l’incendie du Palais-Royal ; je crois fermement que l’on s’est trompé. Il quitta les Tuileries le mardi 23 mai, entre neuf et dix heures du soir ; à partir de ce moment, on perd absolument sa trace.