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l’avenue des Champs-Elysées et ne se sentait pas suffisamment protégé par les deux vastes terrasses qui, armées de canons, formaient un rempart presque inexpugnable. Il voulait à chaque minute avoir des nouvelles et envoyait le commandant Madeuf vers le Ministère de la marine et vers le faubourg Saint-Honoré pour être bien certain que sa position n’était pas encore sur le point d’être forcée. Madeuf allait et venait, examinant la situation du haut du pont tournant et de la terrasse du bord de l’eau. Les têtes de colonnes françaises ne se montraient pas encore; Madeuf, qui jouait les chefs d’escadron dans la commune, comme il jouait les traîtres dans les drames, revenait et disait : — Ce n’est qu’une simple démonstration, nous ne sommes pas encore sérieusement attaqués.

Bergeret avait-il reçu des ordres auxquels il s’est conformé, je l’ignore; mais je sais que, placé sur un terrain exceptionnellement favorable à la lutte, il n’a point combattu. Le palais des Tuileries, préservé par les terrasses de la place de la Concorde transformées en redoutes et armées d’artillerie, appuyé sur les formidables barricades de la rue de Rivoli et du quai, ayant pour ouvrages avancés, d’un côté le Ministère de la marine, de l’autre le Corps législatif et le Palais-Bourbon, protégé, sur les derrières, parle Louvre, auquel il est relié et qui seul représente une forteresse redoutable, le palais des Tuileries devait être facile à défendre; mais je confesse volontiers qu’il était encore plus facile à brûler. On y pensait à la commune; c’était là un vieux rêve révolutionnaire caressé depuis longtemps : il ne s’agissait pas de se maintenir dans une position stratégique qui était la clé de l’Hôtel de Ville, il s’agissait de détruire la demeure où la souveraineté a passé avec ses gloires, ses grandeurs et ses faiblesses. Le 23 mai au matin, le premier Paris du Vengeur, journal de Félix Pyat, est intitulé : Que ferons-nous des Tuileries? La question était résolue d’avance; il y avait plus de vingt ans que certains membres de la commune et du comité de salut public vivaient dans l’espoir de faire sauter a le repaire de la tyrannie. »

Au milieu de la journée, Bergeret se rendit à l’Hôtel de Villes lorsqu’il en revint, il réunit autour de lui dans la cour des Tuileries une sorte de conseil de guerre composé de son état-major auquel s’adjoignirent Victor Bénot, Dardelle, Madeuf, Etienne Boudin. Là on ne discuta pas ; on reçut les instructions du comité de salut public transmises par Bergeret : le château sera incendié, il n’en restera pas pierre sur pierre; on a le temps, il faut agir sans précipitation et méthodiquement, car rien de ce palais maudit ne doit échapper à la destruction. Se tournant vers Bénot, Bergeret lui dit : — Colonel ! je te charge d’exécuter les ordres de la commune.