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était permis du moins de s’attendre à une lutte longue, meurtrière, qui nous laisserait, sans grands efforts, maîtres de la situation et libres d’exercer notre médiation entre deux belligérans à bout de forces, au gré de nos désirs.

L’alliance prussienne entrait toutefois dans nos prévisions, mais dans de certaines éventualités seulement. Elle ne devait se produire que le jour où le roi de Prusse, sous le coup d’une défaite, serait venu réclamer notre assistance, en échange de sacrifices sur le Rhin. Nous verrons par les dépêches du général Govone que M. de Bismarck, sans illusions sur nos arrière-pensées, s’était résolument préparé à subir nos exigences en cas de revers, et que dans ses rares accès de pessimisme il allait jusqu’à prévoir l’abandon des provinces rhénanes.

Du moment que les complications allemandes entraient dans les convenances de notre politique, il importait de se montrer désintéressés et de maintenir la balance égale entre les futurs belligérans. Des préférences trop marquées n’auraient pas manqué de couper court aux velléités belliqueuses. Il n’aurait pu convenir ni à la Prusse ni à l’Autriche de se jeter dans la lutte sans être certaines au préalable d’une neutralité bienveillante. S’engager avec M. de Bismarck, c’était paralyser le cabinet de Vienne, et se constituer l’allié de l’Autriche, c’était rejeter la Prusse dans l’inaction. Aussi, tandis que secrètement l’on concédait l’alliance italienne au cabinet de Berlin, notre politique officielle prodiguait les témoignages de sympathie au gouvernement autrichien et cherchait à escompter à l’avance ses victoires éventuelles. On insinuait à Vienne et à Berlin qu’on resterait spectateur impassible et désintéressé des événemens; l’attitude de la France était toute tracée, elle ne prendrait aucune mesure militaire, ses frontières resteraient dégarnies, elle se contenterait du rôle glorieux de médiateur, et, sauf quelques rectifications de frontières à débattre d’un commun accord si la guerre devait amener une modification territoriale, elle se tiendrait pour amplement dédommagée par la conquête de la Vénétie annexée à l’Italie.

Dans ces savantes combinaisons, l’Italie seule devait gagner à coup sûr : victorieuse ou vaincue, la Vénétie ne pouvait plus lui échapper. Jamais il n’était arrivé à un pays de s’engager dans une guerre, prémuni contre toutes les mauvaises chances, avec la perspective d’un agrandissement certain. Tous les risques étaient pour l’Autriche et la Prusse, et la France elle-même s’en rapportait aux événemens pour savoir, au juste, si elle aurait lieu de se féliciter du contre-coup de la guerre ou de le regretter. L’Autriche faisait par anticipation et en tout état de cause le sacrifice de sa province