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Il est de fait qu’il commençait à être atteint dans son autorité et dans son prestige. La confiance qu’il inspirait au roi subissait des intermittences, et souvent, sous l’influence du parti autrichien, alors très nombreux à la cour, il trouvait Sa Majesté rebelle à ses conseils. On critiquait ses procédés, ses combinaisons étaient taxées de téméraires. On représentait la convention de Gastein comme un mécompte, on disait qu’il s’était pris lui-même dans le piège qu’il avait cru tendre à l’Autriche. C’était le contraire de la vérité. La convention était libellée de telle façon que la Prusse n’avait que l’embarras du choix des moyens pour exaspérer et provoquer le cabinet de Vienne, suivant l’interprétation qu’il lui plairait de donner à certaines clauses habilement ménagées. — « Il est des chiens, disait dans son langage imagé M. de Bismarck, qui restent inoffensifs et tranquilles tant qu’ils sont en liberté, il suffit de les attacher pour les rendre hargneux et les faire aboyer. »

Mais les combinaisons du président du conseil étaient trop compliquées pour être accessibles au public, et elles avaient un caractère trop dangereux pour ne pas fournir à ses adversaires matière à récrimination. Aussi dans les entours du roi en était-on déjà à discuter les avantages et les inconvéniens d’un changement de ministère. On parlait du général de Manteuffel, le partisan et le défenseur le plus autorisé de l’alliance autrichienne, et même du comte de Goltz, qui semblait prendre alors à Paris le contre-pied des tendances de la politique officielle. Le conflit parlementaire allait d’ailleurs s’aggravant et s’aigrissant, et on pouvait prévoir qu’à la rentrée des chambres les actes du gouvernement seraient l’objet de violentes attaques.

C’est dans ces conditions, peu rassurantes, on en conviendra, que M. de Bismarck devait entreprendre ce qu’il appelait le pèlerinage de Biarritz. « Je voudrais, disait-il avant de partir, voir la France donner une impulsion plus active à sa politique d’expansion, préparer des agrandissemens de territoire et d’influence, et, sous prétexte de similitude de langue et de race, englober, par tout un réseau de conventions économiques et militaires, les pays qui gravitent dans sa sphère d’action. » Il disait aussi, en parlant de la situation de l’Europe, qu’il n’avait pas la prétention de faire l’office du bon Dieu, mais qu’il était de ceux qui savaient attendre l’heure de la marée et en profiter.

M. de Bismarck, esprit libre et novateur intrépide, avait introduit dans la diplomatie un artifice nouveau : c’était de dire très haut ce qu’il entendait faire, et de s’adresser directement et parfois à brûle-pourpoint aux convoitises de ceux qui auraient pu l’entraver dans ses desseins. Il avait inauguré les propos, c’est-à-dire