Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrêter, l’élan impétueux qu’on acquiert lorsqu’on marche de succès en succès.

Que signifiaient cette politique expectante et ces refus persistans opposés à l’Angleterre, en face de complications dont on ne pouvait se dissimuler ni la gravité, ni la portée? Nourrissait-on réellement les convoitises que M. de Bismarck a dénoncées à l’Europe dans sa circulaire du 27 juillet 1870, et comptions-nous pour les satisfaire sur les complaisances de la Prusse, comme il l’affirmait en invoquant à titre de preuve morale notre attitude pendant le conflit danois? Si ces accusations étaient fondées, les fins de non-recevoir que déjà M. Thouvenel en 1862 opposait à l’Angleterre s’expliqueraient d’elles-mêmes. Nous serions fixés sur les manifestations officielles de notre politique et notamment sur la valeur des déclarations contenues dans la remarquable dépêche que M. Drouyn de Lhuys adressait le 10 juin 1864 à notre ambassadeur à Londres. Les duchés de l’Elbe n’eussent plus été dans les combinaisons de l’empereur, dès le lendemain de la guerre d’Italie, qu’un moyen d’amener l’affranchissement de la Vénitie et d’arriver à un remaniement de la carte de l’Europe.

Ces conclusions paraîtront excessives. La politique d’un grand pays, alors même qu’elle est concentrée dans une main unique et qu’elle manque de contrôle et de contre-poids, n’arrive pas du premier coup, sans transitions et sans des nécessités impérieuses, à des solutions aussi radicales.

La politique impériale n’a commencé véritablement à dévier au profit de la Prusse qu’en 1864. À ce moment, elle avait déjà essuyé de nombreux déboires. L’affaire de Pologne et la question du congrès avaient altéré nos rapports avec la Russie et avec l’Angleterre, et l’empereur, qui tenait à dégager sa parole de Milan, ne pouvait oublier qu’en 1859 il avait suffi de l’attitude équivoque du cabinet de Berlin pour lui imposer en pleine victoire une paix précipitée qui laissait son programme inachevé. Il avait donc un intérêt véritable à consolider ses rapports avec la Prusse et il ne pouvait réussir à l’associer à sa politique qu’en se montrant disposé à faire quelques concessions aux aspirations allemandes. Il se flattait qu’en se prêtant à des modifications au traité de Londres, en permettant non pas d’annexer, mais de rattacher d’une manière plus étroite les duchés à la confédération, il obtiendrait de l’Allemagne que, le cas échéant, elle laissât appliquer sur le Mincio les principes qu’elle invoquait sur l’Elbe.

Ces concessions, même réduites à ces termes, pouvaient ne pas être entièrement conformes aux intérêts français, ni aux convenances de l’Europe; mais elles n’avaient pas à coup sûr le caractère