Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/962

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur de l’empire ottoman. A l’heure qu’il est, les Anglais sont à Chypre ; ils ont les fruits de la guerre sans avoir fait la guerre, ils ont conquis une paix glorieuse sans avoir tiré un coup de canon, et lord Beaconsfield, en revenant de Berlin, a pu jouir de son triomphe ; il a sur ses vieux jours la fortune de réaliser le rêve le plus éclatant de son imagination, d’être le ministre le plus populaire qu’il y ait eu depuis longtemps dans l’empire britannique. Le nouveau chevalier de la Jarretière ne triomphe pas à la vérité sans contestation ; il n’a pas pu contenter la reine et tout le monde, ses amis prompts à l’enthousiasme et ses adversaires. Sous les couronnes il y a des aiguillons. Lord Beaconsfield est certainement homme à recevoir sans trop se troubler les assauts de M. Gladstone et à se défendre contre les attaques acérées et hardies de M. Lowe ; il est de force au besoin à rendre sarcasme pour sarcasme, injure pour injure : témoin cette correspondance galante qu’il a échangée l’autre jour avec M. Gladstone et où les deux puissans adversaires ont fait un moment la figure de héros d’Homère s’apostrophant avant le combat. Somme toute cependant, ce n’est là qu’un épisode qui a la saveur de l’humour britannique sans tirer à conséquence. Le vrai chef de l’opposition dans la chambre des communes, le marquis Hartington, s’est bien gardé de suivre M. Gladstone dans sa campagne. Il a combattu pour l’honneur plus que pour la victoire, il a présenté une motion assez bénigne, pour la forme plutôt que dans l’espoir de la faire passer. Lord Hartington est resté circonspect et mesuré, en homme qui sentait qu’à pousser trop loin l’opposition on risquait de heurter un sentiment populaire. Une majorité de près de 150 voix a donné raison au gouvernement, et lord Beaconsfield est resté maître d’un terrain que ses adversaires ne pouvaient lui disputer sérieusement.

La dernière et la plus brillante ovation qu’ait reçue le premier ministre de la reine, l’heureux plénipotentiaire de Berlin, a été à Mansion-House, dans la Cité, où il a été investi solennellement, avec toutes les pompes requises, du droit de bourgeoisie. La scène n’a pas laissé d’être un instant bizarre, presque comique. Le lord-maire s’est fait un devoir de rappeler au chef du cabinet que les citoyens de Londres le considéraient comme leur appartenant par son origine, que le grand-père de sa seigneurie avait été commerçant dans la Cité, et que, si le ministre était resté commerçant au lieu de chercher ailleurs la fortune et la renommée, il aurait pu devenir, — qui sait ? — peut-être lord-maire ! — A quoi le premier ministre a répondu dans un toast de son accent le plus spirituel que personne n’oserait nier un instant cette vérité que le lord-maire forme une partie de la constitution anglaise ! La boutade a été accueillie par les rires de l’assemblée. La partie sérieuse de la cérémonie de la Cité reste toujours évidemment le discours que le chef du ministère a prononcé, où il a déroulé et exposé une fois de plus, avec