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lyrique de sa délégation en 1870, de la défense nationale, de cette époque où l’on n’a pas toujours évité les fautes, il a répondu avec simplicité, avec un juste sentiment des choses ; il s’est exprimé avec tact, et de ces souvenirs douloureux il n’a voulu retenir qu’une moralité, « c’est qu’un pays qui a montré tant d’énergie, qui a déployé tant de ressources dans l’abattement profond où il était tombé, est toujours capable de grandes choses. » En s’occupant avec soin des intérêts maritimes et commerciaux de la Normandie, des œuvres à réaliser, en parlant de l’ensemble de travaux publics qu’il a proposé et fait accepté et il n’a pas déguisé l’esprit de modération politique qu’il porte aux affaires, il ne s’est nullement dissimulé qu’il y a « un grand nombre de Français de très bonne foi, sans parti pris et sans mauvaise passion, aimant le pays, mais comprenant à leur façon ses intérêts, qui voient la république avec inquiétude… » La tâche du gouvernement et du parlement, à ses yeux, c’est de dissiper ces ombrages par la bonne conduite, c’est de convaincre par des actes, sans paroles amères, sans récriminations inutiles, des adversaires d’aujourd’hui qui peuvent être des alliés et des amis de demain, c’est de montrer à tous enfin que la république peut être un bon et équitable gouvernement. « Nous avons à faire, a-t-il ajouté, non de la politique académique, mais de la politique pratique, c’est-à-dire travailler, marcher, produire, laisser derrière nous des résultats, des témoignages irrécusables d’un bon gouvernement et des aptitudes de la république à servir les intérêts du pays. » M. de Freycinet parle ainsi au Havre, M. de Marcère parlait l’autre jour dans le Nord de l’esprit de tolérance qu’on devait porter dans la politique. Voilà le meilleur programme qui puisse se produire à la veille des élections sénatoriales. Tout le reste nous ramènerait aux carrières — et n’assurerait à la France ni la paix intérieure, ni ce crédit extérieur, qui ne se reconquiert pas en un jour, qui est le prix du temps, de patiens efforts, et quelquefois, les circonstances aidant, de l’habileté heureuse.

Pour le moment, ce n’est pas la France qui est la nation la plus occupée au lendemain de ce traité de Berlin dont on en est encore à calculer les conséquences, et dont l’exécution a déjà commencé. A vrai dire, cette exécution ne semble pas également facile sur tous les points : elle pourrait être traînée en longueur par la Russie, qui ne sait pas encore comment elle entrera à Batoum, et elle ne laisse pas d’être laborieuse pour l’Autriche.

L’Angleterre, quant à elle, recueille décidément avec bonne humeur les fruits de la politique aussi habile que hardie de son gouvernement. S’il y a des embarras, ils sont pour l’avenir ; c’est l’avenir seul qui dira quelles seront au juste les conséquences des engagemens que le cabinet de Londres a contractés, de la position qu’il a prise en Orient, au