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élections pourront modifier la composition du sénat, elles ne changeront ni son rôle ni son caractère dans un régime où il est appelé à représenter cette prudence, qui peut devenir plus que jamais nécessaire dans une crise de transition.

S’il y a des périls, des tentations toujours possibles, il y a donc aussi des raisons d’attendre les événemens sans trop s’émouvoir, sans se livrer à de vaines alarmes. Ces raisons, elles sont dans le sénat lui-même, qui sera toujours nécessairement un pouvoir modérateur, dans la force des choses, qui domine et contient tout le monde, dans cet immense développement du travail dont l’exposition universelle est l’expression, dans un certain esprit général qui répugne aux excès, aux violences, aux représailles, aux politiques exclusives, aux conflits inutiles. S’il est un fait avéré, criant d’évidence, c’est que la France, lasse d’essais de tout genre, aspire à se fixer dans un cadre d’institutions libérales et protectrices, c’est qu’elle a besoin d’affermissement, non d’agitations. La meilleure manière de mettre en bonne voie les affaires de la république, c’est de répondre à ces besoins et à ces instincts, c’est de rester dans cette mesure où peuvent se rencontrer sans efforts tous peux que la passion de parti n’aveugle pas, c’est de savoir se conduire après les élections sénatoriales comme aujourd’hui. Ce n’est point là tout à fait sans doute ce que veulent les excentriques et les violens, qui voient déjà dans le renouvellement du sénat la victoire de leurs fantaisies, un signal de révolution, l’avènement de la vraie république ; c’est évidemment la pensée des esprits sérieux et éclairés qui sont dans les chambres ou dans le gouvernement. C’est le programme que tous les membres du cabinet reproduisent dans leurs discours et que le ministre des travaux publics à son tour vient de retracer avec succès dans cette promenade en Normandie où il s’est complu pendant quelques jours. En fait d’excursions ministérielles, il n’y a guère de variété et de nouveauté. Rien ne ressemble à un voyage d’un ministre de la monarchie comme un voyage d’un ministre de la république. On est toujours à peu près sûr d’avoir le contingent inévitable d’ovations, de banquets, de discours, de drapeaux et quelquefois d’illuminations. M. le ministre des travaux publics a une bonne grâce particulière en voyage. Il répond avec à-propos ; il parle avec l’aisance et la netteté d’un homme qui a passé par les affaires, qui sait ce qu’il veut et qui ne dit que ce qu’il veut. Il a mérité que M. Pouyer-Quertier lui dît dans un banquet à Rouen qu’il ne promettait que ce qu’il pouvait tenir.

Ce qu’il y a de frappant et de séduisant dans le langage de M. le ministre des travaux publics, dans cette série de discours qu’il vient de prononcer sur son passage, c’est la mesure. M. de Freycinet n’est pas pour les déclamations. Lorsqu’on lui a parlé d’un top un peu