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tentes dressées pour le sommeil. Il y a des périls dans la lutte et des tentations dans la victoire ; mais d’abord il n’est nullement prouvé que le pays, pour échapper aux candidats bonapartistes, soit obligé d’aller chercher des radicaux ou des révolutionnaires. Il n’a qu’à écouter sa raison pour nommer de préférence des hommes modérés qui, en acceptant loyalement les institutions actuelles, n’aient aucune envie de courir les aventures. La composition même du corps électoral exclut dans la plupart des départemens certains choix excentriques. De plus, les républicains, s’ils ont la victoire, vont avoir, une occasion de donner la mesure de leur esprit politique ; ils peuvent dès ce moment méditer avec fruit sur un point de notre histoire récente. Nous avons assisté en effet depuis quelques années à un phénomène invariable. Ce sont les fautes ou les impatiences des républicains, ce sont les déclamations ou les jactances révolutionnaires, les propositions agitatrices, les menaces du radicalisme qui ont été la raison ou le prétexte de certains mouvemens de réaction. En revanche, ce sont toujours les fautes des conservateurs qui ont refait, pour ainsi dire, les affaires des républicains. La république est sortie de ces alternatives, de toute cette situation, elle s’est établie sous l’influence de la nécessité, par une série de transactions de chaque jour, par un consentement de raison à un régime devenu le seul possible à travers toutes les oscillations contemporaines. Toute la question est de savoir si les républicains auront un assez vif sentiment de la moralité de cette histoire et s’ils sont décidés à profiter sérieusement de l’expérience.

Ils ne peuvent se méprendre sur un fait qui est d’une invincible évidence pour tous les esprits réfléchis. Le jour où ils sembleraient abuser d’une victoire de scrutin, où ils se laisseraient aller à une politique de nature à inquiéter le pays dans ses intérêts ou dans ses instincts, à violenter les mœurs ou les consciences, à affaiblir les ressorts de l’existence nationale, ce jour-là ils auraient préparé une revanche à leurs adversaires, ils auraient ; gravement, peut-être irréparablement compromis la république ; ils ne peuvent la faire vivre qu’en la maintenant dans des conditions libérales et fortes où elle laisse à la France la sécurité, la confiance, la paix intérieure avec la possibilité de retrouver son influence extérieure, toutes les garanties d’un régime régulier. On aura beau se créer des chimères de parti ou se livrer à un optimisme de victorieux, le mot de M. Thiers restera invariablement vrai : « La république sera conservatrice, ou elle ne sera pas ! » Le sénat, même avec la majorité qu’il retrouvera ou qui lui arrivera, est certainement destiné à prendre une importance nouvelle dans cette république conservatrice et libérale, à rester un frein utile et respecté, précisément parce, qu’il ne pourra plus être accusé de nourrir, une hostilité systématique, de vouloir susciter des conflits de parti. Les