Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est la haine de la république, des institutions qui, après tout, représentent aujourd’hui la légalité en France.

Eh bien ! comment le pays, témoin et victime de tant d’expériences, n’hésiterait-iî pas avant de se livrer à une coalition ainsi entendue, avant de rendre aux hommes de ces partis prétendus conservateurs un mandat sénatorial dont ils ont si étrangement usé, dont ils sont prêts à user encore de la même, manière ? Sur quoi peut-il compter ? Que peut-il attendre des promesses qu’on lui fait ? Les royalistes pourraient-ils du moins lui rendre la monarchie ? Les bonapartistes seraient-ils en mesure de rétablir l’empire ? Si la coalition des droites triomphait, ce serait une menace perpétuelle de guerre civile ; si, même en échouant, elle avait encore assez de succès relatifs pour n’être pas découragée, elle recommencerait ou elle continuerait ce qu’elle a déjà fait. On s’étudierait à tout envenimer, à discréditer les institutions, à troubler les esprits, à représenter les actes les plus simples de libéralisme comme des mesures révolutionnaires, à épier les occasions de rallumer des conflits et de susciter des crises nouvelles. On préparerait des 16 mai en se réservant d’y mettre plus d’habilité, — en se promettant de jouer le même air, mais de le jouer mieux ! C’est l’œuvre éternelle des irréconciliables de tous les camps. Franchement, après tant d’épreuves de toute sorte le pays aurait besoin de retrouver de vrais conservateurs comprenant autrement leur rôle, assez dégagés de l’esprit de parti pour s’inspirer uniquement de ses intérêts, pour le respecter dans ses malheurs, dans sa vie laborieuse et dans sa sécurité. Il aurait surtout besoin d’en finir avec une situation où il ne sait jamais s’il est sorti du provisoire, si les institutions qui lui ont été données sont sérieuses et définitives, si un vote ne va pas de nouveau le livrer à l’imprévu. La république existe, elle est constituée et organisée ; la meilleure manière d’être conservateur est après tout de ne pas la mettre perpétuellement en doute ; — mais si la gauche triomphe aux élections prochaines, dira-t-on, est-ce que le péril ne devient pas bien autrement grave ? Est-ce que la victoire républicaine ne va pas être le signal d’un déchaînement révolutionnaire ? On n’attend que les élections sénatoriales ; à peine la majorité nouvelle sera-t-elle assurée, on va renverser le ministère, bouleverser la magistrature et l’armée, organiser les persécutions contre l’église ! On va droit à la révision de la constitution, à la suppression du sénat, à une convention révolutionnaire, au règne du radicalisme ! On va vraiment un peu vite.

Que les élections sénatoriales puissent être en réalité une épreuve des plus sérieuses, nous n’en doutons pas. Ce serait une naïveté assez étrange de ne voir qu’un des dangers de la situation laborieuse que les événemens ont créée à la France. Les républiques, pas plus que les monarchies constitutionnelles dont parlait Royer-Collard, ne sont des