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est bimétallique, — certains peuples se servant de monnaie d’or, d’autres d’argent, d’autres enfin d’or et d’argent ensemble, — et on veut fausser tous ces contrats en obligeant tous les débiteurs à livrer un métal considérablement enchéri puisque tous se le disputeront et qu’il devra faire à lui seul l’office que les deux remplissaient auparavant. Quatre grands pays aspirent à reconquérir une circulation métallique, il leur faut pour cela quatre milliards. Ils auront déjà bien de la peine à les puiser dans le réservoir des deux métaux. Comment y parviendront-ils et à quel prix, si on démonétise l’argent ? Évidemment, au milieu des souffrances actuelles de l’industrie, alors que les grèves et les attentats jettent partout le trouble et l’inquiétude, il n’est pas un seul gouvernement qui voudrait tenter une semblable expérience.

Mais, disent les fanatiques de l’or, il ne s’agit pas de démonétiser l’argent, il suffit de restreindre la puissance libératoire de l’écu de 5 francs à une somme de 50 francs, comme pour la monnaie divisionnaire. Il ne faut point se faire illusion, une pareille mesure mène forcément à la démonétisation. En effet, le commerçant, l’industriel, qui auraient des écus au moyen desquels ils ne pourraient payer leurs traites iraient les porter dans les caisses de l’état pour les y échanger contre de l’or. La banque, qui ne pourrait plus rembourser ses billets avec l’argent, ne garderait pas une monnaie qui ne constituerait pas une encaisse effective. Tout l’argent déprécié refluerait au trésor, qui ne pourrait plus le remettre en circulation. Une monnaie discréditée ne peut plus circuler qu’avec le cours forcé ; or au contraire l’état enlèverait à l’argent le pouvoir libératoire à l’égard de tous excepté de lui-même. Seul il serait tenu de recevoir une monnaie au moyen de laquelle il ne pourrait rien payer. Après une série d’embarras, de difficultés et de contestations, il serait obligé comme le gouvernement allemand de la retirer et de la vendre et dans des conditions bien pires. L’Allemagne a employé une partie de son argent à fabriquer une monnaie divisionnaire. Elle n’a rendu, avec les états Scandinaves, que pour 500 millions de francs. L’union latine aurait à en écouler 8 ou 10 fois autant[1]. Sur quel marché et à quel prix ? On réduirait tellement la valeur de l’argent qu’aucun pays, même les États-Unis, ne pourrait le conserver. Ce serait un désarroi universel accompagné d’une crise effroyable pour le commerce et l’industrie du monde entier.


IV

Il reste à examiner maintenant quelles résolutions pourrait prendre la conférence monétaire qui siège en ce moment à Paris.

  1. D’après les renseignemens obtenus de l’obligeance de la Banque de France, l’encaisse était composée au 25 juillet dernier de : or, 1,182 millions ; argent, 984 millions, y compris 84 millions de monnaie divisionnaire. M. Rouland estime la circulation de l’argent en France à 2 1/2 milliards ; ce chiffre n’est-il pas trop peu élevé ?