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l’évidence la perturbation qu’une semblable opération aurait jetée sur le marché monétaire européen et surtout anglais. Voici ce que rapporte le sénateur Boutwell, ancien secrétaire de la trésorerie de l’Union. Les États-Unis, ayant vendu à Londres un lot considérable de bonds, avaient à leur disposition à la Banque d’Angleterre une somme équivalant à 110 millions de francs. La Banque fit avertir la trésorerie américaine qu’elle ferait tout ce qu’elle pourrait pour entraver le retrait brusque de cette somme, et elle demandait qu’elle fût réemployée en valeurs américaines. Les États-Unis furent obligés de céder. Lorsqu’il fallut payer les 75 millions d’indemnité de l’Alabama, les cercles commerciaux, craignant l’effet désastreux du retrait de cette somme en numéraire, s’adressèrent au gouvernement, et il fut convenu que le paiement se réglerait en valeurs et non en métal. On voit combien est réduite en Europe la quantité d’or disponible. Le marché monétaire anglais est si sensible que le retrait de quelques millions sterling oblige la Banque à des hausses successives de l’escompte. L’enlèvement de 1 milliard ou même d’un 1/2 milliard de francs, équivalant à toute l’encaisse de la Banque, aurait provoqué une crise bien plus désastreuse encore que celle de 1846 et de 1857. Aussi les journaux financiers de Londres, après avoir tonné contre le Bland-bill, ont-ils fini par avouer qu’il avait du bon. Il n’y a que le réservoir français qui pourrait faire face à une semblable demande, mais n’y puise pas qui veut. Le change favorable le met presque toujours à l’abri des atteintes des autres pays.

Avec l’argent, l’Union arrivera peu à peu aux paiemens en espèces en monnayant le produit des mines du Nevada, sans porter le trouble sur le marché européen. Pour se procurer de l’or, par une balance du commerce favorable, il aurait fallu entraver encore plus les importations d’Europe, augmenter les droits protecteurs, les rendre prohibitifs et porter un dernier coup à nos industries. Voilà cependant ce que des économistes conseillaient au congrès ! L’émotion produite par le Bland-bill et la crainte de se voir payé en Amérique au moyen d’un métal déprécié semblent avoir complètement disparu, car les bonds américains sont cotés plus haut aujourd’hui que lorsqu’ils n’étaient payables qu’en or, et le trésorier peut poursuivre la conversion avec les plus grandes facilités. Les États-Unis échappent ainsi à la pénalité dont on les avait menacés pour leur félonie. La rente française est aussi payable en argent : on ne voit point que cela l’empêche de monter. Si l’Allemagne veut achever sa réforme monétaire et démonétiser aussi ses thalers, elle aurait encore, estime-t-on, environ pour 1/2 milliard d’argent à vendre. C’est le seul point noir qui subsiste à l’horizon du métal blanc. Sans cette offre éventuelle qui menace le marché, on pourrait dire que la production de l’argent comme celle de l’or est insuffisante