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étaient payables, intérêt et capital, en monnaie légale, coin, et non en or seulement. La loi du 14 juillet 1870, autorisant la conversion (refunding) de l’ancienne dette, dit que les nouveaux titres seront payables en numéraire de la valeur actuelle, et les titres portent en toutes lettres : remboursables en numéraire des États-Unis à la valeur légale du 14 juillet 1870 avec les intérêts en même numéraire. Or la monnaie légale dans l’Union jusqu’au 12 février 1873 a été le dollar d’or de 25.80 grains et le dollar d’argent du Bland-bill pesant 412.50 grains. Le dollar d’argent ne circulait pas parce que, valant plus comme marchandise que le dollar d’or, il était exporté, mais il possédait la pleine puissance libératoire. Les États-Unis ont donc le droit de s’en servir pour payer leurs dettes, puisqu’ils l’ont même expressément stipulé. Il y a quelques années, l’or seul était resté dans la circulation ordinaire en France ; en résulte-t-il qu’elle ait perdu le droit de payer ses créanciers en écus de 5 francs ? Les États-Unis n’ont donc failli à aucun engagement et en cela ils l’emportent sur la plupart des états européens, y compris l’Angleterre, qui presque tous ont imposé des sacrifices à leurs créanciers sous forme d’impôts, de réduction d’intérêt, de conversion forcée ou de paiement en papier déprécié.

Le congrès, dit-on, a obéi aux influences des silvermen. N’est-ce pas M. John Jones qui a été le rapporteur de la silver-commission, et n’est-il pas le plus puissant actionnaire de la Virginia Consolidated ? Le congrès n’a probablement pas agi par pur amour du bimétallisme et des théories de M. Cernuschi ; mais, si un état peut ouvrir un débouché à un de ses principaux produits, sans protection et sans prime, doit-il s’en abstenir ? La France n’a-t-elle pas adopté pour les troupes de ligne le pantalon rouge, afin de favoriser la culture de la garance ? On reproche à M. Cernuschi d’avoir franchi l’Océan pour inoculer aux Yankees le virus de ses hérésies économiques. Mais l’Europe doit bénir les États-Unis de lui avoir épargné une crise effroyable que ceux-ci lui auraient inévitablement infligée en essayant de lui enlever le milliard d’or[1] nécessaire pour reprendre les paiemens avec ce seul métal. On sait la peine qu’a eue l’Allemagne, quoiqu’elle disposât de 5 milliards. Où. et comment les États-Unis auraient-ils pris même un 1/2 milliard d’or, alors que d’ordinaire ils ne peuvent même conserver le produit des placers de la Californie ? Deux faits démontreront à

  1. On ne s’accorde pas aux États-Unis sur la somme nécessaire à l’état pour reprendre les paiemens en espèces. D’après les uns, il lui faut encore réunir 1 milliard 1/2 de francs, d’après d’autres, en ajoutant 700 millions à la somme à peu près égale en numéraire que possède le trésor, on fera face à tout, — J’ai adopté l’estimation intermédiaire, mais, même en prenant la plus basse, la difficulté reste la même.