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Chypre, bon an mal an, 30 ou 40 millions de francs pour la garnison et pour mettre l’île en valeur. Celle-ci n’ayant presque rien à envoyer en retour, c’est encore du numéraire qu’il faudra. Comme l’a démontré M. Cliffe Leslie, dans les pays restés isolés jusqu’à ce jour, mais qui entrent peu à peu dans le mouvement économique de l’Occident, les échanges et les redevances se règlent non plus en nature, mais en argent, et ainsi les prix y montent et se mettent au niveau de ceux des pays où la vie est chère. Ce changement s’est accompli et se poursuit encore en ce moment en Suède, en Norvège, en Russie, en Hongrie, en Espagne, en Italie, en Turquie et dans toute l’Asie. Mais, si les prix montent, il faut plus de numéraire pour régler le même chiffre de transactions.

Ceux qui veulent réduire la quantité totale de la monnaie en expulsant l’argent de la circulation prétendent qu’on emploie de plus en plus d’instrumens de crédit, que par conséquent il ne faut pas plus de métal. On se sert plus du crédit, c’est vrai ; mais tout ce crédit a, en fin de compte, une base métallique. La base ne s’accroît pas en raison de l’échafaudage qu’elle supporte, néanmoins elle augmente. En veut-on une preuve sans réplique ? Nulle part on n’a poussé plus loin qu’en Angleterre l’emploi de tous les instrumens de crédit. Pour ne citer qu’un chiffre, les règlemens de compte par chèques ont plus que doublé ; de 60 milliards, ils se sont élevés à 130 milliards. M. Bagehot ne cessait de répéter que l’Angleterre était allée trop loin dans cette voie et que son stock de métaux précieux était insuffisant ; cependant depuis trente ans ce stock a beaucoup plus que doublé : on le portait en 1844 à 50 millions sterling, et en 1874 à 120 millions, différence 70 millions sterling, ce qui faisait par an une augmentation d’environ 60 millions de francs. Macculloch estimait qu’il fallait aux nations occidentales pour faire face aux besoins croissans des échanges un accroissement annuel du chiffre des métaux précieux de 250 millions de francs, ce qui le portait à croire que tout l’or des placers entrerait dans la circulation sans rien perdre de sa valeur. Il ne semblé pas qu’il se soit trompé en ce dernier point. La puissance d’absorption des métaux précieux qui distingue la France est vraiment inouïe ; l’importation dépasse l’exportation en 1875 de 655 millions, en 1876 de 684 millions, en 1877 de 542 millions, et pour les six premiers mois de 1878 de 250 millions. La moyenne depuis plusieurs années est certainement supérieure à un demi-milliard. La France absorbe donc à elle seule, en une année, le surplus disponible de la production totale des métaux précieux du monde entier ; par le change favorable, elle en enlève aux autres peuples, qui par suite n’en ont plus en quantité suffisante.

On objectera que tout au moins la production de l’argent est