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dissonans, ils n’usent que de la septième diminuée et très rarement de la dominante avec une quinte augmentée. Signalons encore appoint de vue musical la gamme mineure hongroise, qu’ils font figurer dans leurs traits à chaque instant ; elle mérite l’attention des hommes du métier à cause de sa construction diatonique singulière (do, ré, mi-bémol, fa-dièze, sol, la-bémol, si, do, par exemple).

Quant à leur mécanisme, il ne faut pas oublier que les tsiganes, vivant autant que possible en dehors de la société, ont une horreur insurmontable pour tout ce qui est méthode, tradition. Leurs parens leur enseignent à jouer de leurs instrumens dès le bas âge. Ils font leur apprentissage en ouvriers plutôt qu’en artistes, n’ambitionnant pas plus de virtuosité qu’il n’en faut pour jouer dans la banda la plus voisine. Une fois à l’orchestre, ils exécutent leurs parties avec entrain, n’obéissant qu’à leur instinct musical, puisque les chances d’avancement sont presque nulles. Il est excessivement rare de les voir s’adresser à un professeur non tsigane, et il est avéré que même ces exceptions restent sans résultat. Ils jouent avec beaucoup d’habileté et d’imprévu, arrondissant les phrases, détaillant les broderies, mais le soin et l’égalité leur manquent généralement. Leurs compositions instrumentales, peu nombreuses en raison de leur ignorance, n’abordent jamais les formes développées, et, évitant tout effort d’invention originale, visent surtout à mettre en évidence le talent de l’exécutant ; tandis que, dans leurs chansons, sur des paroles tsiganes ou hongroises, ils aiment à donner libre cours à leur tristesse séculaire, que le retour fréquent des intervalles chromatiques exprime d’une façon saisissante et presque douloureuse.

Aussi est-il naturel qu’ayant pu apprécier et leurs facultés spéciales et leur peu d’aptitude au perfectionnement, on se demande avec une certaine hésitation : Quel sera l’avenir des tsiganes ? pourront-ils toujours captiver l’intérêt du public ? Nous craignons que le temps ne se charge de répondre négativement. Oui, ils auront beaucoup de succès, tant qu’ils seront les seuls détenteurs de la musique hongroise, et tant que cette musique ne sortira pas de son état nuageux. Mais il est à espérer pour la Hongrie qu’elle trouvera un jour des débouchés pour les produits de son génie particulier, comme elle en a déjà trouvé pour les produits de ses plaines fertiles et ses montagnes remplies de minerais, et qu’en attendant sa musique nationale s’affranchira des tâtonnemens, se fortifiera et grandira pour atteindre les sommets où. sa littérature et sa peinture sont déjà parvenues.

Beaucoup d’indices annoncent que ce temps n’est plus loin. Un grand nombre de compositeurs hongrois sont nés dans ces vingt-cinq dernières années, qui se sont partagé la tâche du défrichement et ont abordé successivement les différentes branches de la musique.