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ce qu’on entend dans les palais), et inauguraient la réunion, que les dames devaient bientôt quitter pour laisser libre cours aux discussions politiques, noyées dans le vin, enveloppées dans la fumée des chibouques. C’est là qu’on décidait qui serait député aux prochaines élections, comment on renouvellerait le personnel de l’administration départementale, et, pour soutenir ses candidats ou combattre les adversaires, c’est là qu’on improvisait les kortes-notas, les chansons de l’électeur, dont le sel contribuait puissamment à l’issue favorable du vote. Alors on se lançait dans les toasts les plus interminables, vrais programmes politiques, qu’on applaudissait ou interrompait bruyamment, et que les tsiganes saluaient de leur fanfare ; alors chaque convive demandait son air favori, que le chef de la banda, — le primas (primâche), — ne lui joue jamais assez fort… il faut qu’il mette son violon tout près de l’oreille pour que les sons l’assourdissent, que l’ivresse de la musique soit plus foudroyante ! Et les écus de couvrir le tsimbalom, et les bank-notes de s’accrocher au bout de l’archet !

La guerre de sept ans, les dernières luttes contre les Turcs sous l’empereur Joseph II, et le long duel du monde avec Napoléon apportèrent à ces fêtes de sanglantes interruptions. Adieu les verres, adieu la musique ! il faut ceindre le cimeterre paternel ; la noblesse s’organise en insurrection, les paysans s’enrôlent comme volontaires. Pour en grossir le nombre, on envoie dans les campagnes des enrôleurs, généralement de vieux caporaux, couverts de bouquets, de rubans, qui, la bouteille à la main, vantent l’agréable existence des houssards. Quand rémunération de toutes les grandeurs qui attendent le brave, le tableau saisissant des horreurs commises par l’ennemi, l’excitation la plus ardente à la défense du roi et de la patrie, n’obtiennent pas le succès espéré, alors on a recours au grand moyen : on fait jouer par les tsiganes des verbunkos, airs de danse rappelant le rythme des marches, que l’enrôleur à bout d’argumens accompagne fièrement du cliquetis de ses éperons, sachant d’avance qu’aucun jeune Hongrois ne résistera à cette séduction suprême.

Une fois au régiment, le soldat n’était pas absolument privé de la musique hongroise, quoique le commandement eût été confié à des officiers allemands et l’orchestre à des chefs et des musiciens de Bohême. Les généraux, connaissant le penchant irrésistible de leurs hommes pour leur musique nationale, regardaient d’un bon œil les chefs d’orchestre militaire qui appropriaient les mélodies jouées par les tsiganes aux besoins de l’armée. C’est ainsi qu’a été composée la célèbre marche de Rádkoczy, la personnification musicale de la Hongrie. D’après les investigations les plus minutieuses, ce