Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attachés à leurs coutumes, aient abandonné leur musique pour accepter celle d’une race qui n’était employée qu’aux métiers les plus vils, qui est l’incarnation de la fantaisie la plus échevelée, du vagabondage, incessant, et qui forme le plus complet contraste avec le caractère magyar.

La contre-épreuve, fournie par la littérature hongroise, tant ancienne que moderne, est encore plus concluante, si possible. Nous voyons d’abord que l’école dite populaire, qui joue en Hongrie le rôle des romantiques français, et qui adopte la prosodie propre à la musique, a réussi en peu de temps à faire oublier les œuvres écrites en vers métriques ou alexandrins. Attribuer ce résultat au génie seul d’un Petöfy, d’un Arany, serait téméraire ; il est dû plutôt au tact heureux avec lequel ces poètes ont donné pour vêtement à leurs inspirations les rythmes les plus conformes à la langue, et par là à la musique hongroise. Leur action sur la littérature a été ainsi, après les épopées hexamétriques de Vörösmarty, les odes de Berzsenyi, un retour aux sources primitives du sentiment national, on pourrait même dire du sentiment de la race finno-ougrienne entière à laquelle appartient le peuple hongrois, sentiment dont l’expression préhistorique est le Kalevala, l’épopée finnoise, écrite en pieds choriambiques, ce rythme étrange ( — uu —) que Petöfy, Arany, ont fait renaître, et que nous retrouvons à chaque instant dans la musique jouée par les tsiganes, — dans la musique hongroise.


I

L’existence de la musique hongroise ayant été ainsi constatée en dehors de toute intervention des tsiganes, elle nous apparaît comme un art très complet, quoique peu développé. Elle contient — : assurément en raccourci, — toutes les manifestations d’une école musicale, et possède les germes des formes les plus abstraites et du travail le plus sévère. Cette diversité surprenante constitue son attrait principal ; elle lui a permis de satisfaire aux exigences multiples de son étroite liaison avec la fortune tourmentée du peuple hongrois ; elle lui donne un aspect changeant à volonté, dont on ne se lasse jamais, tant les contrastes les plus violents s’y succèdent inattendus, inépuisables. Cependant, comme la musique de toute nation au début, la musique hongroise ne consiste que dans des phrases détachées d’un développement plus ou moins ample, dont le caractère est vocal ou instrumental, intime ou théâtral, timide ou menaçant, selon le milieu social où elles sont nées. L’enchaînement de ces phrases combiné avec goût constitue le premier mérite des tsiganes. ils les présentent dans l’ordre des pièces composant les