Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/915

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA MUSIQUE HONGROISE
ET LES TSIGANES

A vrai dire, il est presque impossible, pour qui n’a pas une connaissance approfondie de la musique hongroise, de s’expliquer le talent des tsiganes. Même en les entendant exécuter des morceaux connus, tels que des valses ou des marches, on est distrait par tant de particularités caractéristiques, qu’on se trouve fort embarrassé de les apprécier selon les lois ordinaires de la musique. La vue d’un orchestre qui joue sans musique écrite, la sonorité inusitée de leurs instrumens, de la petite clarinette en mi-bémol, du tympanon (tsimbalom), datant du moyen âge, leur entrain infatigable, dont on déplore l’absence bien souvent chez les musiciens stylés, tout cela occupe l’observateur et l’empêche d’analyser ses sensations. Ajoutons maintenant à ces surprises un élément tout nouveau pour les Occidentaux, la musique hongroise, qui, pour le rythme et l’accent, diffère essentiellement de la musique des peuples indo-germaniques, et l’on comprendra comment a pu naître à l’égard des tsiganes la confusion la plus étrange. On est arrivé à croire que, lorsqu’ils ne jouent pas leurs arrangemens de morceaux d’opéras ou de danses, composés par les moyens connus, ils improvisent ensemble, instantanément, et on donne même à ces prétendues improvisations le nom de « musique tsigane. »

La vérité, c’est que les tsiganes se contentent de jouer la musique hongroise. Les bohémiens de la Russie, les gitanos de l’Espagne, les gypsies de la Grande-Bretagne, quoique issus de la même race que les tsiganes hongrois, ayant le même passé impénétrable que ces derniers, étant même restés avec eux en rapport suivis, — pour le choix de leurs chefs (vaïdas) par exemple, — ne connaissent pas et n’ont jamais connu de pareilles improvisations, et ne possèdent pas de mélodies d’une allure semblable. Ils s’identifient partout avec leur entourage : on les trouve donnant en spectacle les