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qu’il la ramènera à lui ou qu’il saura s’imposer à elle[1]. » Il la ramena en effet, le David fut acclamé par Florence, et de ce jour, Donatello, fier de sa victoire, ne jura plus que par la foi qu’il avait eue dans son chauve, « alla fè che porto al mio Zuccone. » Il est, croyons-nous, peu d’artistes anglais capables d’une telle audace de décision et d’un tel héroïsme, et nous doutons que le public anglais acceptât un David qui ressemblerait à Zuccone, à moins toutefois que Zuccone n’eût hérité dans l’intervalle d’un revenu de vingt mille livres sterling.

La peinture qu’on peut étudier dans la section de la Grande-Bretagne a des mérites incontestables ; ce qui lui manque, c’est un certain accent de conviction personnelle. On ne peut imputer ce défaut aux inconvéniens d’un enseignement académique, qui façonne tous les talens sur le même patron. En Angleterre, le gouvernement s’occupe fort peu des artistes pour les former ou les déformer. Tout se passe entre l’artiste et le public, qui veut avoir des peintres, qui les protège, qui les paie grassement, car l’Anglais a pour principe de bien payer ceux qui le servent bien ; mais la tyrannie d’un public très attaché à ses opinions et à ses préjugés est souvent plus pesante que celle d’un gouvernement. Dans les pays où l’église est séparée de l’état, la libéralité des paroisses assure aux ecclésiastiques un sort digne d’envie ; mais s’ils s’avisaient d’introduire dans le dogme ou dans la liturgie quelque innovation qui déplût à leurs ouailles, on leur ferait bien vite sentir qu’ils sont tenus d’avoir les opinions de ceux qui les paient. La plupart des peintres anglais sont à l’affût des préférences, des goûts changeans du public ; ils s’y conforment, même quand ces goûts leur déplaisent ; ils font ce qui plaît à ceux qui leur font des commandes, mauvaise condition pour enfanter des chefs-d’œuvre. Il s’ensuit que leur peinture a peu de caractère propre, et que les personnages qu’on voit dans leurs tableaux n’en ont pas davantage. Mettez de côté un certain nombre de figures pleines d’expression et de physionomie, le buste très personnel et très accentué de lady Augusta Stanley, par Mlle Grant, un charmant trio de jeunes filles par M. Sant, le Matin de la bataille de Waterloo par M. Crofts, qui nous paraît avoir fait ses études en France, et vous trouverez dans la section anglaise des murailles entières où toutes les têtes se ressemblent, où tous les visages ont un air de famille. Prenez une de ces têtes, placez-la sur les épaules du voisin, elle s’y trouvera fort bien et fort à l’aise, cette substitution passera inaperçue, et le voisin ni personne ne songera à s’en plaindre.

Lord Beaconsfield se consolait de ce que l’Angleterre n’avait pas encore de grands peintres d’histoire, en pensant qu’elle avait des

  1. Aperçus sur Donatello et la sculpture dite réaliste, par Gabriel Prévost, Paris, 1878.