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« Que Dieu sauve Rome, et que ce flot de barbares vienne se briser contre l’appui du Christ. »

Effera barbaries Christo frangente dometur !


Six ans plus tard, en 406, le danger est plus grand encore. Radagaise, un païen, presque un sauvage, traînant après lui tourte une cohue de barbares, s’est avancé jusqu’à Florence. L’alarme a été si vive à Rome que beaucoup de grands personnages se sont enfuis. Quelques-uns, les plus illustres peut-être, Mélanie, Pinianus, descendant de Publicola, Turcius Apronianus, sont venus chercher un asile à Nole, et ils attendent les événemens auprès du tombeau de saint Félix. Tout à coup on apprend que Stilicon a traversé l’Apennin par une manœuvre hardie, et qu’il a détruit l’armée de Radagaise. On comprend l’ivresse de joie qui saisit à cette nouvelle des gens qui se croyaient perdus. Aussi le poème de saint Paulin s’ouvre-t-il cette année par un véritable chant de triomphe. Fidèle à son habitude, il rapporte tout à saint Félix : c’est lui qui a imploré le Seigneur et qui, avec l’aide de Pierre et de Paul, a obtenu qu’il prolongeât les jours de l’empire romain. « Et maintenant, ajoute-t-il, que nos craintes ont disparu, comme on aime, après l’orage, à regarder les nuages qui s’en vont, comparons aux terreurs passées la sécurité présente. Qu’ils étaient sombres les jours de cette triste année, ou plutôt de cette nuit qui vient de s’écouler, alors que, déchaîné par la colère céleste, l’ennemi ravageait les cités de l’Italie ! Mais le Christ s’est laissé fléchir ; il a étalé les merveilles de sa puissance, et les barbares ont été exterminés avec leur chef impie ! » Les frayeurs une fois dissipées, il ne lui reste plus que la joie de posséder quelque temps des hôtes illustres, les premiers et les plus grands de l’aristocratie chrétienne de Rome. « Ce sont, dit-il, des fleurs nouvelles qui ont poussé dans le jardin de saint Félix ; » et, pour leur faire honneur, il se permet une petite débauche ; il ajoute au grave hexamètre, dont il s’est toujours servi jusque-là, des vers de mesure diverse, dans lesquels il célèbre « la merveilleuse fécondité des nobles races, » et les grands exemples donnés à la Rome des apôtres par ceux dont les ancêtres avaient été la gloire de la Rome des consuls.

Mais sa joie ne fut pas de longue durée. Le danger ne tarda pas à reparaître, et cette fois Stilicon, que l’empereur venait de faire assassiner, n’était plus là pour le conjurer. En 410, Alaric prit Rome d’assaut. Saint Paulin, qui était un patriote, comme Prudence, comme Ambroise, comme Augustin, qui tenait de ses pères la croyance au vieux dogme de l’éternité de l’empire, dut éprouver à cette nouvelle un profond désespoir. Il vit repasser les illustres