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perruche, une autre son éventail, la troisième un étincelant tapis. Ce groupe forme un ragoût de couleurs intenses et harmonieuses tout à fait savoureux.

Si M. Pasini est un coloriste, M. de Nittis est un luministe. On reverra dans la section italienne sa Route de Brindisi, par laquelle s’est révélé tout d’abord son talent. Cette route poudreuse et blanche, surchauffée par le soleil, est un chef-d’œuvre et la toile la plus lumineuse peut-être qu’il y ait dans tout le Champ de Mars. Depuis longtemps M. de Nittis a délaissé l’Italie, il ne goûte plus que les ciels vaporeux de Paris et les brouillards de Londres. Non-seulement il a quitté le midi pour le nord, il méprise les grandes routes et leur poussière, il ne se plaît que dans la rue, où il étudie cet être changeant et toujours le même, cet être impersonnel qu’on appelle le passant, dont l’unique métier est de passer. M. de Nittis le croque au passage. Il a tout ce qu’il faut pour cela, un œil rapide qui voit tout, un talent original et fin, beaucoup d’esprit dans la touche, une merveilleuse dextérité, qui cependant n’improvise pas. A ses aptitudes naturelles, il joint les longues patiences ; sa peinture, qui semble facile, est le fruit d’une étude et d’un labeur presque acharnés. Il est arrivé à savoir Londres et Paris sur le bout du doigt. Quand il vous montre une femme, vous n’avez pas besoin de regarder à sa coiffure ou à son costume pour savoir si vous avez affaire à une Parisienne ou à une Anglaise ; vous le devinez rien qu’à la façon dont elle relève sa jupe et pose un pied devant l’autre. M. de Nittis a conservé de sa première manière le sentiment et le goût de l’harmonie ; son dessin n’est jamais sec, ses passans ont de l’enveloppe. Parmi les tableaux qu’il a exposés au Champ de Mars, il en est quelques-uns d’un peu bizarres, où l’on voit au premier plan des personnages coupés à mi-corps par le cadre, qui ressemblent trop à des photographies et qui en même temps font penser à certains effets des éventails japonais, car le Japon préoccupe M. de Nittis comme bien d’autres. Nous préférons à ces tentatives hasardeuses sa Place des Pyramides, si harmonieuse et si vivante, et son admirable Pont de Westminster, où quelques robustes ouvriers, accoudés sur le parapet, s’appliquent à chercher un peu de lumière, d’oxygène et de ciel dans une atmosphère chargée de suie et de fumée. La grande ville qui est à la fois la plus grande fabrique du monde et la capitale du commerce de l’univers a dû se reconnaître dans cette œuvre, où la finesse s’unit à la puissance. Que M. de Nittis peigne Londres ou Paris, rien de mieux, mais cet émigré a-t-il rompu définitivement avec son pays natal ? On nous assure qu’il parle avec dédain de sa Route de Brindisi, qui pourtant se soutient victorieusement au milieu de ses autres tableaux. On n’est pas tenu d’être à jamais fidèle à ses