Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/872

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Matejko est un Polonais de Cracovie, depuis longtemps connu et estimé en France ; M. Makart est un Tyrolien, élève de Piloty, lequel n’a pas encore quarante ans, et son Charles-Quint a fait sensation en Allemagne, où il a été admiré autant que discuté ; être discuté, c’est le succès, on ne discute que les forts et les heureux, on abandonne les autres à leur triste destinée.

M. Matejko s’attaquait à un sujet difficile et médiocrement pittoresque. Sigismond II Auguste ayant renoncé à tous les droits des Jagellons sur la Lithuanie, ce pays fut réuni définitivement à la Pologne ; on établit entre les deux pays une coœquatio jurium, et les grands officiers lithuaniens furent admis à l’honneur de siéger dans le sénat polonais. Voilà un compromis politique qu’il était peut-être malaisé de raconter en peinture. M. Matejko était tenu de réchauffer son sujet, et il a fait ce qu’il a pu. M. Makart n’avait pas à réchauffer le sien, il avait plutôt à le sauver. Il a représenté Charles-Quint entrant à Anvers avec un cortège de belles femmes nues ou presque nues. M. Makart a dû s’interroger lui-même plus d’une fois avant de décider quelle figure il donnerait à ces femmes. Il ne pouvait nous montrer d’honnêtes femmes fort étonnées et encore plus embarrassées de leur nudité ; c’eût été peu décent ; peindre les autres ne convient guère à la gravité d’un tableau d’histoire. L’artiste s’est tiré d’affaire en ne donnant à ces nymphes ni une expression de pudeur effarouchée, ni un air d’impudence éhontée ; elles n’ont point d’expression du tout, elles semblent faire la chose la plus naturelle du monde, une chose qu’elles ont faite toute leur vie. A le bien prendre, ce sont des figures allégoriques, détachées de quelque grande toile de Rubens, que M. Makart a eu soin d’amaigrir un peu dans la crainte qu’on ne les reconnût, et sur lesquelles il a passé une couche de jaune d’ambre, couleur qu’il paraît affectionner et qui n’est point désagréable. Cependant il n’a point sauvé l’invraisemblance de sa composition ; nous sommes accoutumés à voir les allégories marcher sur les nues, nous avons plus de peine à admettre qu’elles cheminent dans une rue bondée de monde, au milieu d’une foule indiscrète, qui se presse autour d’elles, qui les frôle et les coudoie.

Le principal défaut de la composition de M. Matejko est qu’elle manque d’ensemble et d’unité ; il a égrené ses groupes, chacun de ses personnages ne pense qu’à soi et ne s’occupe point des autres. L’un soulève un crucifix, que personne ne regarde ; un autre s’agenouille devant la Bible ; un prélat bénit l’assistance, qui ne paraît point s’en douter ; à droite, une femme debout semble prononcer un discours du trône, qu’on n’écoute pas. Il y a bien du hasard dans le rassemblement de ces figures, qui sont venues s’ajouter les